mercredi 13 novembre 2024

2. Préliminaires à une lecture de la Traumdeutung de Freud: une philosophie de l'esprit inconscient, une forme nouvelle de réflexivité sociale sur l'individu moderne (2)

Références bibliographiques

S. Freud, L'Interprétation du rêve, OCP IV, 2003, PUF. (voir en ligne)

S. Freud, L'Interprétation des rêves, tr. fr. J.-P. Lefebvre, 2010, Seuil.

S. Freud, L'Interprétation/La Science des rêves, tr. fr. I. Meyerson, entièrement révisée par D. Berger, 1926, 1967², PUF.

D. Anzieu, L'Auto-analyse de Freud et la découverte de la psychanalyse, vol.1 et 2, 1975², PUF (pas l'édition réduite en un seul volume).

D. Bourdin, Sigmund Freud, L'Interprétation des rêves, 2005, Bréal (un aide-mémoire précis et utile).

P.-H. Castel, Introduction à L'Interprétation du rêve de Freud. Une philosophie de l'esprit inconscient, PUF, 1998. Voir notamment l'Avant-propos et la préface de ce livre, ainsi que mon Résumé analytique de la Traumdeutung.

A. Mayer & L. Marinelli, Rêver avec Freud. L'histoire collective de L'Interprétation du rêve, Aubier, 2009.

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(Enregistrement de la séance)

A/ Introduction: programme d'études de ce séminaire

1. La Traumdeutung comme un texte de philosophie de l'esprit.

2. Mais ce texte qui est une théorie générale de l'esprit a également institutionnalisé une nouvelle forme de réflexivité collective (la psychanalyse, ses controverses) en lien immédiat avec une nouvelle pratique thérapeutique-émancipatrice: l'association libre sur les rêves (les symptômes, les fantasmes), dans la cure-type. C'est la réflexivité exigible d'un projet de vérité sur soi "par soi" typique de l'individualisme moderne (son idéal d'autonomie). Contexte éliasien de ma démarche: le Freud auteur de la Traumdeutung: un Juif libéral en Autriche-Hongrie avant 1914. Rationalisme progressiste des Lumières, universalisme, scientisme, historicisme, économisme. Or les conditions d'émergence de la psychanalyse (avec la théorie du rêve comme intégrateur "métapsychologique" en 1900) ne sont pas celles de son développement et de son extension (de l'inclusion, y compris comme "erreur exemplaire", du "mouvement psychanalytique" dans le "processus de civilisation" moderne, au-delà de Freud).

Après Freud, donc, examiner le kleinisme (Meltzer contre la Traumdeutung), ou Lacan (le rêve n'est plus qu'un domaine où s'illustre les "jeux du signifiant"), Bion enfin (le rêver-processus, dreaming). Or tout cela s'appuie sur des procédés techniques et des idéaux thérapeutiques-émancipateurs ainsi que sur des compréhensions idéologiques-sociales du "malaise dans la culture" (et donc des types de patients) chaque fois distincts.

3. Une lecture épistémologique "expressiviste" de l'émergence et de la stabilisation des concepts-clés de la doctrine psychanalytique du rêve/rêver à partir des pratiques effectives. Une mise en parallèle desdites pratiques avec les attentes normatives, mais aussi les contraintes structurales, qui régissent la quête d'une guérison-libération "psychique" dans les sociétés individualistes modernes en évolution.

4. L'hypothèse ultime de cette mise en perspective socio-historique longue de la Traumdeutung. D'abord une connexion entre philosophie de l'esprit (de la connaissance, épistémologie) et sociologie historique de la connaissance (à la Durkheim, Formes élémentaires de la vie religieuse) de l'émergence de catégories réflexives générales (inconscient sexuel, refoulement, Œdipe, etc.). Ensuite (à la Elias) l'idée d'une évolution réelle des appareils psychiques des individus, après et à cause des théories freudiennes du rêve.

5. Méthode de travail.

B/ Premières hypothèses et questions sur l'évolution de la théorie psychanalytique du rêve après les années 1930, puis après Freud

1. Point de départ: A. Mayer & L. Marinelli, Rêver avec Freud. L'histoire collective de L'Interprétation du rêve. Les trois phases de l'histoire du texte. Quelques points critiques dans l'histoire de sa réception et de sa diffusion: l'idée d'auto-analyse, la résistance suisse à la notion de rêve "gardien du sommeil", le problème du symbolisme et le cas spécial du "complexe" d'Œdipe, les problèmes liés à la traduction. A chaque fois, parallèle entre une formation discursive-théorique et une formation sociale: théorie du rêve et institutionnalisation/"impersonnalisation" de la psychanalyse.

2. Retour philosophique et psychanalytique sur le travail de Mayer et Marinelli. Formation discursive matérialisée dans un livre-dispositif (multi-couches) vs. réseau conceptuel caractérisé par les inférences nécessaires et les incompatibilités (Koselleck vs. Duso). La question du sens et de la vérité des énoncés en histoire des idées et des sciences. Mais aussi du point de vue sociologique, plusieurs paradoxes: l'auto-analyse implique-t-elle de s'identifier à Freud? Peut-on alors arriver à une impersonnalité dans la démarche? Le "dictionnaire de symboles" comme fausse piste pour concevoir l'institutionnalisation de la psychanalyse: quelques alternatives.

3. La dynamique intellectuelle de la théorie du rêve après Freud. Premiers jalons.

  • L'établissement d'une orthodoxie du rêve-effet empirique-du-refoulement (Anna Freud et la "psychologie psychanalytique"). En pratique, l'analyste "sain" ne devrait pas rêver de son patient. Le problème du contre-transfert.
  • Melanie Klein et l'idée de "phantasme" (inconscient) dont le rêve est l'expression (ainsi qu'un moyen de se défendre contre lui). On part de l'enfance, et cela ruine l'articulation classique rêve // psychose.
  • Le moment Ella Sharpe (cours des années 1930): Dream Analysis. A Practical Handbook, 1937. A la fois une théorie néo-kleinienne (issue également de Ferenczi) du corps symbolisé/symbolisant dans le rêve, et une théorie rhétorique-poétique du travail créateur du rêve.
  • Lacan, lecteur critique d'Ella Sharpe ("Le désir et son interprétation", séminaire 1958-1959): le travail du rêve plus que les pensées du rêve, et le jeu du signifiant comme facteur central du déchiffrement du rêve (le rêve imaginarise le symbolique, l'interprétation (re-)symbolise l'imaginaire). Dé-psychologisation relative du rêve.
  • Bion après Melanie Klein: le rêver-processus (dreaming) comme traitement originaire des excitations, et la création de l'espace interne par ce même processus. Une métapsychologie entièrement nouvelle, fondée sur la "rêverie" en séance.
  • Meltzer: Dream Life. A Re-examination of the Psychoanalytic Theory and Technique, 1983. Réfutation explicite de la Traumdeutung (de son psychologisme scientiste périmé) au nom des acquis kleiniens-bioniens. La vie éveillée n'est que le contenu manifeste d'un rêve latent qui ne cesse jamais.

4. Nécessité d'un contexte socio-historique large. On ne saurait en rester à des formations discursives mises en relation extérieures avec des formations sociales. L'approche expressiviste: rendre explicite dans les concepts les règles suivies en pratique. Les conditions pratiques de la cure: étroites (cliniques, institutionnelles) et larges (sociales et politiques). Emergence d'une nouvelle "grammaire du rêver".

mardi 15 octobre 2024

1. Préliminaires à une lecture de la Traumdeutung de Freud: une philosophie de l'esprit inconscient, une forme nouvelle de réflexivité sociale sur l'individu moderne

Références bibliographiques

S. Freud, L'Interprétation du rêve, OCP IV, 2003, PUF. (voir en ligne)

S. Freud, L'Interprétation des rêves, tr. fr. J.-P. Lefebvre, 2010, Seuil.

S. Freud, L'Interprétation/La Science des rêves, tr. fr. I. Meyerson, entièrement révisée par D. Berger, 1926, 1967², PUF.

D. Anzieu, L'Auto-analyse de Freud et la découverte de la psychanalyse, vol.1 et 2, 1975², PUF (pas l'édition réduite en un seul volume).

D. Bourdin, Sigmund Freud, L'Interprétation des rêves, 2005, Bréal (un aide-mémoire précis et utile).

P.-H. Castel, Introduction à L'Interprétation du rêve de Freud. Une philosophie de l'esprit inconscient, PUF, 1998. Voir notamment l'Avant-propos et la préface de ce livre, ainsi que mon Résumé analytique de la Traumdeutung.

A. Mayer & L. Marinelli, Rêver avec Freud. L'histoire collective de L'Interprétation du rêve, Aubier, 2009.

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(Enregistrement de la séance)

A/ Introduction: programme d'études de ce séminaire

1. La Traumdeutung comme un grand texte de philosophie de l'esprit. Un Traité de l'âme d'ambition aristotélicienne (l'âme entéléchie du corps vivant, la question de l'essence ou de l'essentiel dans le vivant-pensant), mais pour l'individu moderne (qui n'est pas censé posséder une âme "animante", Seele, mais un "psychisme" objectivable). Locke/Leibniz, Hume (Traité de l'entendement humain), mais aussi Nietzsche ou Wittgenstein: sauf que la "métapsychologie" se substitue à la métaphysique. La visée est philosophique: une réarticulation conceptuelle à la fois causale et sémantique et surtout générale-intégratrice de la vie de l'esprit subjectif. Le problème de l'intentionnalité non-consciente/inconsciente. Enjeu final du gnôthi seauton de la Traumdeutung: le rêveur immoral. La qualité éthique de l'individu (sain ou malade) ne s'évalue plus à sa (bonne) volonté, mais à l'articulation plus ou moins maîtrisée de son désir.

2. Mais ce texte qui est une théorie générale de l'esprit a également institutionnalisé une nouvelle forme de réflexivité collective (la psychanalyse, ses controverses) en lien immédiat avec une nouvelle pratique thérapeutique-émancipatrice: l'association libre sur les rêves (les symptômes, les fantasmes), dans la cure-type. 

Sortir du cliché d'une critique du moi conscient des seuls philosophes. C'est la réflexivité exigible d'un projet de vérité sur soi "par soi" typique de l'individualisme moderne (son idéal d'autonomie). Contexte éliasien de ma démarche: la Selbstzwang (autocontrainte), pierre de touche de l'agent social fiable quand les contraintes physiques externes diminuent. Regarder "dans les yeux" les pulsions et fixations (infantiles perverses) qui s'opposent à ce projet d'autocontrôle, lequel rend enfin effective l'autonomie dans l'individu.

Le Freud auteur de la Traumdeutung: un Juif libéral en Autriche-Hongrie avant 1914. Rationalisme progressiste des Lumières, universalisme, scientisme, historicisme, économisme. Or les conditions d'émergence de la psychanalyse (avec la théorie du rêve comme intégrateur "métapsychologique" en 1900) ne sont pas celles de son développement et de son extension (de l'inclusion, y compris comme "erreur exemplaire", du "mouvement psychanalytique" dans le "processus de civilisation" moderne, au-delà de Freud).

Après Freud, donc, examiner le kleinisme (Meltzer contre la Traumdeutung), ou Lacan (le rêve n'est plus qu'un domaine où s'illustre les "jeux du signifiant"), Bion enfin (le rêver-processus, dreaming, devient l'acte psychique par excellence, mais il s'ensuit une inversion/dialectisation radicale des motifs-clés de la Traumdeutung). Or tout cela s'appuie sur des pratiques (des procédés techniques) et des idéaux thérapeutiques-émancipateurs ainsi que sur des compréhensions idéologiques-sociales du "malaise dans la culture" (et donc des types de patients "psychanalysables") chaque fois très distincts.

3. Problème méthodologique: un double parallèle à justifier. a) Une lecture épistémologique "expressiviste" de l'émergence et de la stabilisation des concepts-clés de la doctrine psychanalytique du rêve/rêver à partir des pratiques effectives. b) Une seconde mise en parallèle desdites pratiques avec les attentes normatives, mais aussi les contraintes structurales, qui régissent la quête d'une guérison-libération "psychique" dans le cadre des sociétés individualistes modernes en évolution. Ce que cette méthode a de général pour la philosophie des sciences sociales.

4. L'hypothèse ultime de cette lecture élargie (mise en perspective socio-historique longue de son projet) de la Traumdeutung. D'abord une connexion suggestive entre philosophie de l'esprit (de la connaissance, épistémologie) et sociologie historique de la connaissance (analyse à la Durkheim, Formes élémentaires de la vie religieuse) de l'émergence et de la lutte continuée pour la pertinence de catégories réflexives générales à portée critique (inconscient sexuel, refoulement, Œdipe, etc.). Ensuite (à la Elias) l'idée qu'une évolution réelle des appareils psychiques des individus eux-mêmes, après et à cause des théories psychanalytiques du rêve. Pas une élucidation nouvelle de l'essence de l'esprit; mais une évolution du fonctionnement psychique des individus modernes. On ne rêve plus après Freud comme avant; et c'est une affaire de "grammaire du rêver".

5. Méthode de travail du séminaire.

B/ Premières hypothèses et questions sur l'évolution de la théorie psychanalytique du rêve après Freud.

C/ De la nouvelle "grammaire du rêver" aux mutations de l'expérience de l'intériorité subjective: quelques clarifications.



mardi 7 mai 2024

Le mouvement psychanalytique au 20e siècle. Histoire conceptuelle, philosophie de l’esprit et sociologie de la connaissance (annonce du séminaire 2024-2025)

Programme

En quel sens les concepts éminemment « psychologiques » de la psychanalyse, et ce qu’ils prétendent faire connaître du « sujet individuel », sont en vérité des catégories sociales – i.e. des catégories de la connaissance réflexive sociologiquement et historiquement déterminées ? Poser cette question est dérangeant : la psychanalyse a souvent revendiqué une position d’extériorité par rapport au social, soit par la voie naturaliste (Freud), soit au risque de généralités quasi métaphysiques (Lacan). La justifier exigera, donc, de prendre en considération, quand on entreprend l’histoire conceptuelle de la psychanalyse au XXe siècle, les métamorphoses de la socialisation individualiste, ses multiples crises dans les sociétés modernes, et les remèdes qu’on leur a imaginés, dont, entre autres, le divan. Mais plutôt qu’offrir une nième mouture de l’« histoire culturelle » des influences qui ont façonné les théories freudiennes et post-freudiennes, ce séminaire ambitionne de cerner de plus près le parallèle éliasien entre sociogenèse et psychogenèse tout du long du processus de civilisation, autrement dit, d’appréhender la réflexivité psychanalytique à l’aune des paradoxes de ce processus et des épreuves individuelles et collectives qu’il implique. Projet bien différent de celui d’une critique épistémologique in abstracto de la psychanalyse. Avec cela, argumentera-t-on, l’enjeu de l’objectivité des notions psychanalytiques ne disparaît nullement ; il est au contraire réélaboré, mais à la lumière d’une philosophie sociale de l’esprit, pragmatiste et expressiviste.

Dans ce double esprit, le séminaire de cette année prendra la forme d'un cours qui consistera 1) en un commentaire conceptuel de L'interprétation du rêve de Freud, s'ouvrant sur les transformations de ce procédé singulier dans l'histoire de la psychanalyse au XXe siècle; et 2) en une lecture de la traduction (en cours) de la biographie de Freud par Joel Whitebook, Freud. An Intellectual Biography (Cambridge UP, 2017).