dimanche 14 février 2021

10. De la Raison à l’Esprit : une théorie sociale de l’autonomie (Mathurin Schweyer)

Lectures préalables

Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, section B et C du chapitre V « Certitude et vérité de la Raison », trad. J.P. Lefebvre, GF

Hegel, Principes de la philosophie du droit, § 113 – 124, trad. J.F. Kervégan, PUF, 2013

Références :

Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, Troisième partie : « La philosophie de l’Esprit », Vrin, 2018

Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, tome I : « La science de la Logique », Vrin, 1896

Hyppolite, Genèse et structure de la Phénoménologie de l’Esprit, Chapitre V : « L’œuvre humaine et la dialectique de l’action », 1974

Brandom, A Spirit of Trust, Chapitre 1: “Hegel’s Expressive Metaphysics of Agency”, 2019

Pippin, Hegel’s Practical Philosophy, Chapitre 6: The freedom of the will: social dimensions, Cambridge University Press, 2018

Julia Christ, Kritik als Spiel, chapitre IV: „Von Regeln und Individuen: Hegels Kapitalismuskritik“, Nomos, 2017

Christoph Menke, Autonomie und Befreiung: Studien zu Hegel, Suhrkamp, 2018

Etienne Balibar, Citoyen sujet, Chapitre 7 : « Zur Sache Selbst : du commun et de l’universel dans la Phénoménologie de l’Esprit », PUF, 2011

Honneth, La reconnaissance. Histoire européenne d’une idée, Chapitre III, Gallimard, 2020

Adorno, Dialectique négative, Deuxième partie : « Concepts et catégories », Payot, 2007.

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(Enregistrement de l'exposé)

 A.    Introduction : le problème moderne de l’autonomie 

1.     Centralité de la philosophie de Hegel pour la théorie sociale : de la réflexion abstraite sur la liberté à l’analyse concrète de ses conditions sociales de possibilité.

2.     La place de la section B et C du chapitre V dans la structure générale de la Phénoménologie : une rupture entre le chapitre V et le chapitre VI ou une transition interne à la partie C de la Phénoménologie ? Le problème du rapport entre l’analyse phénoménologique de l’effectivation par elle-même de la conscience de soi rationnelle et le processus phénoménal de formation de « l’esprit subjectif » et de « l’esprit objectif ».

3.     Un problème moderne : « l’individu face aux lois ». Le développement d’une « société d’individus » la dissolution de l’unité de la conscience et de l’esprit. La double ambition de l’analyse hégélienne : analyser à la fois les apories théoriques et pratiques du subjectivisme (moral, politique et épistémologique) et les conditions sociales de son développement dans la modernité. Le « souci éthique perdu » comme symptôme de l’incapacité de « l’essence spirituelle » à réaliser le concept de l’Esprit. 

B.    La critique hégélienne du subjectivisme comme « aliénation »

 1.     Point de départ des aventures de la conscience singulière : de la Sittlichkeit à « l’esprit de la terre » (Faust). La négativité du désir et l’hétéronomie de la « première nature ».

2.     Passage de l’extériorité (hétéronomie intérieure) à l’intériorité (hétéronomie extérieure) : la « loi du cœur ». Le renversement moderne du modèle traditionnel de l’obéissance et le « fantasme de la Maîtrise » (Brandom).

3.     De l’auto-législation à l’auto-discipline (Kant) : d’où vient la loi qui ordonne de se donner des lois ? La vertu comme « sacrifice de la personnalité ». Une résolution pratique de l’opposition théorique entre intériorité (être pour-soi) et extériorité (être en-soi de la conscience de soi) : centralité de la théorie de l’action.

C.    La théorie hégélienne de l’action : un dépassement de l’opposition entre intériorité et extériorité

 1.     Une double critique de l’intentionnalisme (morale déontologique) et de l’externalisme (morale conséquentialiste). Une conception rétrospective de l’intention (Pippin). La distinction moderne entre Tat et Handlung. La dimension temporelle de l’action : « la fin visée » comme résultat d’un rapport entre l’individualité et l’effectivité.

2.      Théorie expressiviste de l’œuvre et de l’action comme « interprétation de l’Universel et de l’individualité ». La malhonnêteté de la « conscience honnête » : « rendre effectif, c’est exposer ce qui est sien dans l’élément universel, en sorte qu’il devient la Chose de tous ».

3.      L’adéquation entre le résultat et la fin visée comme adéquation entre « l’œuvre pour-soi » et « l’œuvre pour-les-autres ». L’activité de tous et de chacun (Tun aller und jeder) et la distinction entre Absicht et Vorsatz. Le passage de la certitude à la vérité de l’effectivité de la conscience de soi rationnelle comme processus social de reconnaissance réciproque. Pour sortir de l’impasse de la Maîtrise, une structure coordonnée d’autorité et de responsabilité : la « Chose de tous » est la « Chose-même ». 

D.    De la Chose-en-soi (Ding-an-sich) à la Chose-même (Sache-selbst)

 1.     L’institution sociale de la signification : la réalité est structurée par elle-même. De la théorie de l’action à la théorie du jugement : la Chose-même, un « prédicat universel » ou un « Sujet » ? Passage du « jugement de subsomption » au « jugement du concept ».

2.     Contre le concept de « Chose-en-soi », une critique du jugement de subsomption. Le « Je est être, et l’être est Je » : non parce que le sujet transcendantal détermine la réalité, mais en raison d’une concordance déjà-réalisée entre l’être et la pensée.

3.     L’acte de jugement comme participation à « l’activité de tous et de chacun ». Enjeu politique de cette thèse épistémologique : l’autonomie comme « liberté positive expressive ». Identité immédiate du Je et de « l’être de la loi ».

E.     L’opposition entre Moralität et Sittlichkeit comme symptôme d’une crise de « l’essence spirituelle » 

1.     Les « masses » de la « substance éthique » et la « raison commune des hommes dans l’exercice de son jugement pratique » (Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs et Doctrine de la vertu). La critique de Hegel : de « l’auto-contradiction » (universalisation de la contingence) à la tautologie (identité à soi de « l’essentialité éthique »).

2.     Aboutissement de la critique de l’auto-législation : « l’être de la loi » comme dépassement de l’opposition entre devoir et réalité. L’autonomie est un « blasphème » : passage des « lois » (Gesetze) aux « commandements » (Gebote).

3.      La crise moderne de l’éthicité : de l’essence spirituelle (« substance éthique ») à l’esprit (« effectivité éthique »). La rupture de l’identité immédiate de la conscience de soi avec « l’être de la loi » est une rupture dans « l’être de la loi ». 

F.     Conclusion : le devenir de l’Esprit et le problème de la particularité de « l’essence spirituelle » dans la modernité

1.     Nécessité d’analyser les conditions sociales de la « disparition » du « souci éthique » dans la modernité : la critique du jugement de subsomption et l’interprétation marxiste du « jeu des individualités » comme analyse de la structure de l’échange marchand (Adorno).

2.     De la libération de la « première nature » à la libération de la « seconde nature » : la naturalisation de l’Esprit dans la modernité (Menke). Le problème du rapport entre « théorie de la reconnaissance » et « théorie de la libération » : la naturalisation de l’Esprit comme « fermeture argumentative » (Honneth). L’horizon de signification qui détermine l’étendue des raisons mobilisables dans un ordre de reconnaissance donné est-il uniquement circonscrit par les pratiques de reconnaissance réciproque ?