mardi 29 mars 2022

10. Brandom et le projet classique d’analyse : adjoindre à la sémantique une pragmatique (P.-F. Mouraud)

Lectures

R. Brandom, Perspectives sur le pragmatisme, chapitre 6, trad. française inédite (ou les deux premiers chapitres de Between Saying and Doing: Towards an Analytic Pragmatism, Oxford University Press, 2008)

A. Tarski, « On the Concept of Following Logically », History and Philosophy of Logic, vol. 23, no 3, septembre 2002, p. 155-196.

Lecture complémentaire

B. Halimi, Le nécessaire et l’universel : analyse et critique de leur corrélation, Paris, J. Vrin, 2013.

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(Texte de l'exposé)

A/ Introduction : Brandom et le vocabulaire logique, rupture et continuité avec le projet classique d’analyse ? 

(Cf dernier § du chapitre 6 : « For the conclusion will be that it is because some vocabularies…”)

La thèse de Brandom : le vocabulaire logique est un genre qui possède plusieurs espèces. Ce genre est défini par les traits suivants : 

- Le vocabulaire logique est déployé à partir de pratiques algorithmiquement élaborées à partir de : 

o Pratiques qui sont PV-nécessaires pour tout vocabulaire autonome (et donc, par extension, pour tout vocabulaire) et qui 

o Sont suffisantes pour spécifier explicitement ces pratiques PV-nécessaires.

Conclusion : n’importe quel vocabulaire qui satisfait ces conditions est un « vocabulaire universel LX » (ou vocabulaire universel ElEx, dans la terminologie de la traduction française). 

Trois dimensions centrales de ce projet : 

- La logique non plus comme archi-théorie des vocabulaires, mais comme vocabulaire

- Non plus un projet seulement sémantique, mais un projet sémantique et pragmatique

- Dépasser le dilemme logiciste

B/ Les impasses de l’universel dans le projet classique d’analyse

1. La logique moderne se caractérise par le fait d’être une science de portée maximale, universelle. De quelle universalité, s’agit-il? Universalité objectuelle ou universalité discursive ? 

i. Universalité discursive c'est-à-dire radicalité : la radicalité désigne le fait que tout raisonnement présuppose les règles de la logique. Tout raisonnement présuppose les lois de la logique. La logique est une sorte d’archi-théorie présupposée par toute activité rationnelle. La logique précède en droit tout autre théorie.

ii. Universalité objectuelle c'est-à-dire généralité absolue : la généralité absolue est justement le propre de la logique, en tant que la logique porte sur tous les objets pensables quels qu’ils soient. Il s’agit d’une universalité non-restreinte.  

2. Une classe de tous les objets ? Le paradoxe de Russell ou les impasses de la généralité absolue. 

C/ Le défi de la démarcation des termes logiques

1. Qu’est-ce que le projet classique d’analyse ? Deux conditions sous lesquelles on peut penser la logique pour les fondateurs de la logique moderne : 

a. La logique est une structure profonde du langage, la structure de la pensée (archi-théorie). En cela, la logique tendrait à être un langage de paraphrase : un langage permettant de paraphraser le langage ordinaire, tout en dévoilant sa structure parfaite, la structure logique parfaite que le langage ordinaire voile.

b. Pour que ce langage de paraphrase soit vraiment un langage logique, il faut en plus pouvoir déterminer les inférences valides, c'est-à-dire les énoncés vrais en vertu de leur seul forme logique.

Langage de paraphrase + distinction entre termes logiques et termes extra-logiques. 

2. Chez Tarski, ce qui démarque les constantes logiques, c’est la double contrainte d’être matériellement adéquat et formellement correct. 

3. Les difficultés de l’analyse tarskienne : tout métalangage apte à supporter la définition du prédicat de vérité relatif à un certain langage-objet doit posséder un domaine d’interprétation strictement inclusif de celui que possède ce langage-objet. L’analyse modèle-théorique est inadéquate pour penser le problème de la démarcation, sauf à neutraliser les traits contingents de l’univers d’arrière-plan. 

a. Différenciation de deux niveaux d’universalité distincts

b. La validité logique consiste simplement dans le fait d’être vraie dans toutes les interprétations possibles du langage (corrélation validité logique – universalité). 

D/ Les vocabulaires universels LX chez Brandom. Faire d’une pierre deux coups : réaffirmer l’universalité logique et relever le défi de la démarcation

1. L’universel comme démarcation de la logique : universalité restreinte ou non-restreinte ? Reprendre le problème de l’universalité non plus simplement d’un point de vue sémantique, mais adjoindre une pragmatique. 

2. Défi de la démarcation : expliquer la signification des constantes logiques en termes de rôles inférentiels dans des contextes normatifs (les constantes logiques nous permettent d’expliciter les rôles inférentiels des énoncés). 

3. Réaffirmer l’universel logique : la connexion entre vocabulaire LX et les vocabulaires autonomes. 

4. Auto-engendrement : 

- De la sémantique par la pragmatique : certains doings (les assertions) ont la signification pratique d’être des sayings ; et 

- De la pragmatique par la sémantique : le vocabulaire logique élaboré algorithmiquement est suffisant pour spécifier les pratiques PV-nécessaires de n’importe quel vocabulaire autonome, donc de tout vocabulaire. 

E/ Conclusion : les relations sens-usage et le vocabulaire logique

1. Brandom peut ainsi reconstruire la démarcation entre logique et extra-logique (discursif/extra-discursif) de l’intérieur du discours. 

2. Algorithmisation constructive de la logique qui conserve pourtant une prétention universelle forte. Déplacer le problème : non plus le projet de trouver un vocabulaire dans lequel tout peut être dit mais le projet de trouver un vocabulaire dans lequel on peut dire tout ce qu’on a besoin de faire pour dire quoi que ce soit. 

3. Un projet métaphysique pris dans une acception non plus ontologique, mais ultimement sémantique : l’universalité comme expressivité.