dimanche 2 décembre 2018

3. Ouvrir en grand l'"espace pragmatique": quelques enjeux philosophico-anthropologiques de la psychanalyse avec les enfants.

Lectures préparatoires

D.W. Winnicott, La Consultation thérapeutique et l'enfant, trad. franç., Gallimard, 1971, lire la préface de Masud Kahn, "Une certaine intimité".
A. Freud, Le Traitement psychanalytique des enfants, trad. franç., PUF, 1951.
S. Freud, "Analyse de la folie d'un garçon de cinq ans", trad. franç., Oeuvres complètes IX, p.1-130.
M. Klein, La Psychanalyse des enfants, trad.franç., PUF, 1959, chapitres 1 et 2.

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(Enregistrement de la séance)

A/ Transition

1. Philosophie et sciences sociales: occasion de construire un lien inédit avec la psychanalyse. Rappel des principales positions qui excluent la psychanalyse du champ des sciences sociales. Le rejet épistémologique (c'est de la psychologie, ou ce n'est pas une science); la position spéciale de l'Ecole de Francfort (une science "critique", dont on recueille les conséquences théoriques, pas la pratique).

Difficulté centrale: construire la médiation requise entre les deux, dans le cadre d'une double altération, de la philosophie par les sciences sociales, et des sciences sociales par la philosophie.

2. L'idée d'"espace pragmatique" pour fournir cette médiation:
  • Point de départ: rappel de l'argument inférentialiste de Brandom à partir du paradoxe logique d'Achille et la tortue. Ce qu'est un pragmatisme "radicalisé" en philosophie de la logique.
  • Pourquoi privilégier l'assertion? Et les autres actes de langage?
  • Et les autres dimensions de l'acte de langage? Le perlocutoire et l'illocutoire.
  • Et d'autres actes, qui ne sont pas de langage? L'acte d'image.
B/ Topographie préliminaire de l'espace pragmatique (à partir d'un décentrement de l'activité "ultime" de demander et rendre raison)

1. Contester la centralité du jugement déclaratif (apophantique). M. Lance & R. Kukla sur "Yo! et "Lo!". En quoi la sociolinguistique ne va pas assez loin, du point de vue pragmatique radicalisé.

2. Dilatation supplémentaire: une critique de C. Taylor à R. Brandom.  L'expressif au-delà du logico-linguistique. L'expression incarnée, l'affect et l'image agissante. Les "formes symboliques" à la sauce pragmatiste?

3. Un triangle: indirection (ce qui est exprimé sans être dit, les cas de la politesse et celui de la séduction) / émotion (l'effet perlocutoire du dire dans la rhétorique) / image (l'acte d'image et l'énergie vitale et sociale de la symbolique).
Cet espace pragmatique remet en question une foule de dualisme (corps/esprit, individuel/collectif, intellectuel/sensible, etc.). Une extension inédite, à explorer conceptuellement, de ce qui est agissant.

4. Le projet "clarificateur" de la philosophie coïncide alors avec la tâche de rendre plus "expressifs" les concepts d'une science sociale (avec l'explicitation toujours plus réflexive de l'implicite des pratiques, y compris des pratiques théoriques).

C/ Pourquoi la psychanalyse avec les enfants?

1. L'idée d'espace pragmatique est censée produire une redistribution complète du champ de l'enquête autour du cas central de l'acte de langage ultime en philosophie, le jugement déclaratif.
Comment appliquer une méthode expressiviste aux objets qui y surgissent?
Les deux bords de cet espace pragmatique : la socialisation "ultime", la discussion par raison, et la socialisation "primaire".
La psychanalyse des enfants prend pour objet cette socialisation primaire, à travers les pathologies de l'accès à la vie sociale. Il est difficile de devenir un partenaire, un interlocuteur, le membre d'un groupe social doté de la qualité de "personne"; la raison de cette difficulté, c'est le caractère normatif, et non mécanique de l'inclusion sociale.

2. Jouer avec les enfants, les laisser s'exprimer par des moyens non verbaux, socialiser la vie affective, ouvrir la dimension de l'indirection: autant de pratiques intuitives caractéristiques de la psychanalyse avec les enfants. D'où deux hypothèses:
  • Dans toutes les sociétés humaines confrontées aux échecs de la socialisation des tout-petits, il existe des rituels thérapeutiques. La psychanalyse d'enfants est un rituel thérapeutique pour l'enfant qui va mal dans une société individualiste (personne = individu autonome).
  • On peut appliquer une méthode expressive à l'élucidation de ce que font implicitement les psychanalystes d'enfants, et comparer le résultat de cette explicitation réflexive du contenu de leurs pratiques aux théories "médicopsychologiques" que se forgent spontanément les acteurs.
3. Un renversement complet par rapport à la manière habituelle d'envisager la psychanalyse: dé-psychologisation, rapprochement substantiel avec l'anthropologie, respect des pratiques effectives, mais critique épistémologique des théories.

Conclusion hypothétique : si la psychanalyse a quelque chose à voir avec les sciences sociales, ce n'est pas à cause de sa forme "critique", ou de sa méthode, ni même à cause de son concept d'inconscient, mais parce qu'elle participe à élucider les phénomènes de l'espace pragmatique. Mais pour s'en convaincre, il faut avoir recours à une philosophie conséquente avec son articulation (expressive et réflexive) au style rationnel de la "science sociale".

samedi 10 novembre 2018

2. Le pragmatisme analytique inférentialiste de Brandom: explicitation préliminaire

Lectures préparatoires

R. Brandom, "Reason, expression, and the philosophic enterprise", le chapitre 4 de Reason and Philosophy: Animating Ideas, 2009 et "Towards Reconciling Two Heroes: Habermas and Hegel", dans Argumenta 1, 1, 2015.
L. Carroll, "What the Tortoise said to Achilles", l'article de Mind, 1895, et une traduction française.
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A/ Récapitulation de la séance introductive et transition vers les thèses de Brandom

L'opposition entre une philosophie des sciences sociales et l'articulation intrinsèque entre philosophie et sciences sociales.

  • L'accent sur l'économie et la psychologie cognitive fait de la naturalisation de l'intentionnalité un enjeu central, et donne un caractère normatif a priori à la logique.
  • Lien direct avec la philosophie analytique "classique" (Quine): l'épistémologie est elle-même naturalisée comme une psychologie cognitive de la connaissance.

Première mise à distance réflexive, faire de cette psychologie de la connaissance un objet pour une sociologie historique de la connaissance.

  • Le point de vue sociologique, l'esprit social des neurosciences cognitives.
  • Le problème de l'"idéologie" cognitiviste.

Le problème sociologique général à l'horizon de cette sociologie historique de la connaissance: remarques sur Sociologie et socialisme de C. Lemieux et B. Karsenti (2018).
Pensée conservatrice, pensée libérale, pensée socialiste; holisme naturaliste, individualisme naturaliste, holisme sociologique (dénaturalisant, historique).

Deuxième mise à distance: en amont de la sociologie, Hegel? La question de la réflexivité sur le Tout socio-historique. Retour sur la "conjugaison décisive", philosophie et "science sociale"?

B/ Pourquoi Brandom n'opère -t-il pas lui-même le rapprochement entre philosophie et "science sociale"?

Brandom sur Habermas et Hegel. Rapprochement avec la problématique du séminaire.
Parenthèse inattendue sur Lacan et la psychanalyse
La sociologie américaine empirique contemporaine, la philosophie sociale de Habermas comme philosophique normative et historique, et le tournant pragmatiste de la sociologie française actuelle

C/ L'"inférentialisme", moyen théorique privilégié de Brandom pour accomplir son double programme anti-logiciste et anti-représentationniste (et s'opposer à la philosophie cognitive)

Le pragmatisme est un anti-cartésianisme. Brandom sur Leibniz et Spinoza, et la métaphysique classique de l'intentionnalité.
L'idée critiquée: que l'usage des concepts repose sur une compréhension préalable de leur contenu représentatif et des lois formelles qui fixent les conditions de vérité des jugements, entendus comme des combinaisons correctes de concepts

Comment Brandom a lu Frege sur l'inférence.

"Achille et la tortue", un dialogue socratique beaucoup trop platonicien. Solvitur ambulando, solvitur inferendo: le primat pragmatique du faire (de l'acte de langage d'assertion) sur le contenu prédiqué.

Comment la rupture est consommée avec le paradigme dominant de la philosophie analytique: l'effondrement du problème traditionnel de l'intentionnalité et l'émergence d'une nouvelle question sur le statut sémantique et épistémique de la "représentation objective".

vendredi 9 novembre 2018

1. Philosophie "des" sciences" sociales, philosophie "et" sciences sociales

(Enregistrement de la séance)

A/ Justification du titre du séminaire et délimitation de l'espace à explorer philosophiquement

La philosophie des sciences sociales comme épistémologie d'une science spéciale du social.
  • Le biais en faveur de ce qui ressemble aux sciences naturelles dans les sciences sociales.
  • L'économie, la psychologie cognitive.
  • Les affinités entre l'épistémologie des sciences sociales et philosophie analytique "classique" ou "dominante". Une sémantique a prioriste de la vérité, une théorie représentationniste de l'esprit.
  • Remarque sociologique: l'insertion de la philosophie dans la division du travail social de la connaissance contemporaine.
  • La philosophie analytique comme "servante" des sciences cognitives.
Philosophie et sciences sociales, par contraste avec l'approche épistémologique standard.
Un geste politique, historiquement situé, de redéploiement de la philosophie de l'esprit, du langage, de la logique, de l'action, de la société et de l'histoire.

B/ La conjugaison décisive: une altération mutuelle de la philosophie et de la "science sociale"

1. Pas de philosophie sans considération méthodique de la forme de vie sociale où une connaissance réflexive peut être reconnue et donc validée.
2. La "science sociale", qui n'est pas la science du social, n'a pas seulement un intérêt pour la philosophie, elle est intrinsèquement philosophique (nonobstant que les sciences sociales ont des observables propres).

Remarques sur cette conjugaison.
  • La subordination de la philosophie de l'esprit et de la connaissance à une philosophie politique et sociale travaillée par les sciences sociales empiriques. À propos de B. Karsenti.
  • Une esquisse du projet chez P. Winch, à partir de Wittgenstein.
  • Brandom et la "Hegel Renaissance".
  • La nécessité d'une médiation réflexive interne aux sciences sociales pour cette conjugaison. À propos de C. Lemieux.
  • Entre philosophie de l'esprit et de la connaissance et sociologie historique de la connaissance. À propos de K. Mannheim.
C/ Le contrepoint psychanalytique: socialisation "primaire" et socialisation "ultime".
  • Un cas de figure paradigmatique du renversement pragmatique de l'analyse: dénaturaliser et dépsychologiser la psychanalyse d'enfants.
  • Les deux bornes de l'espace pragmatique de la vie humaine: la borne supérieure, donner des raisons à autrui sous forme d'assertions objectivement valides, la borne inférieure, établir (ou rétablir) le contact avec les tout-petits.
  • L'anthropologie philosophique selon P. Winch.

vendredi 31 août 2018

Présentation des objectifs du séminaire

Il est assurément difficile de justifier aujourd'hui un séminaire de philosophie des sciences sociales sans préciser son enjeu politique, tant du côté de la politique de la science, que de la situation politique générale, et du statut contesté des sciences sociales pour armer la réflexion démocratique. En effet, la "psychologisation" des rapports sociaux n'est pas purement idéologique, un simple épiphénomène des conceptions individualistes dominantes; elle s'appuie désormais aussi sur la mobilisation de principes scientifiques, comme l'individualisme "méthodologique", ou de puissantes théories de la représentation, de la référence (en logique, en sémantique) et de l’intentionnalité qui confèrent aux sciences cognitives, voire aux "neurosciences sociales" un statut inédit. L'alliance entre sciences cognitives et économie (politique), ou les procédures de naturalisation de l'intentionnalité, commandent ainsi des styles d'action étonnamment concrets, rapportés à l'abstraction et la technicité philosophiques de leurs prémisses. Les sciences sociales spontanément holistes, enracinées dans une prise en considération systématique de l'histoire, bref, celles de la tradition française après Durkheim, en sont du coup profondément remises en cause.
Rompre avec, voire contester ce style dominant de la rationalité philosophique contemporaine est alors une tâche extraordinairement difficile. Surtout si la dispute n'est pas purement conceptuelle ou abstraite (en en appelant à Wittgenstein, par exemple, pour contester le naturalisme philosophique), mais se donne pour objectif, en investissant certaines questions que (se) posent les sciences sociales aujourd’hui, d'aborder concrètement la signification pratique, historiquement située, de nos activités de conceptualisation et d'argumentation.
Les premières séances de ce séminaire seront donc consacrées à clarifier l'enjeu des relations entre philosophie et sciences sociales dans le cadre général des études interdisciplinaires sur la réflexivité caractéristiques du Lier, en particulier en relation avec la philosophie politique et avec la sociologie historique de la connaissance. Mon but général est ainsi d'essayer de présenter certaines questions philosophiques actuelles sous un jour qui les rendent pertinentes pour la théorisation mais aussi la pratique concrète des sciences sociales et, réciproquement, de faire émerger certains enjeux conceptuels d'une grande portée philosophique de travaux récents d'anthropologie et de sociologie. Pragmatisme est ici le mot-clé. Mais, de façon peut-être plus provocante, j'en passerai par la réhabilitation, ou par la redécouverte, de deux motifs devenus presque anathèmes dans le champ de la philosophie "analytique" de la logique, du langage et de l'esprit et, par ricochet, de l'épistémologie standard des sciences sociales: la pensée de Hegel (une forme d'absolutisation conceptuelle du holisme), et la psychanalyse (le type de la théorie psychologique fausse).
Je suivrai donc ensuite deux fils, en alternance.
Je commencerai l'examen suivi des principales thèses de l'inférentialisme de Robert Brandom, dans le cadre de ce qu'il a appelé le "pragmatisme analytique". Il s'agit en effet, en philosophie de l'esprit, du langage et de la logique, d'une des tentatives contemporaines les plus puissantes et les plus systématiques de construire une alternative holiste au paradigme actuellement archidominant des théories de la représentation, de la vérité et de la référence d'orientation cognitiviste. Et la lecture que Brandom propose de Hegel, lecture si surprenante dans le contexte de la philosophie analytique, permettra de préciser le lien original qu'il élabore entre inférence, intentionnalité, action, socialité et histoire, et sa force critique aussi bien eu égard aux sciences cognitives que, par exemple, par rapport à la théorie de la décision et du choix rationnel.
Dans le sens inverse, des sciences sociales vers la philosophie, j'exposerai un travail actuellement en cours sur la psychanalyse des enfants entendue comme un "rituel thérapeutique" dans les sociétés individualistes. Adoptant un point de vue paradoxalement anti-psychologique, je donnerai une description essentiellement pragmatiste des crises de la socialisation primaire des enfants, des pratiques destinées à y remédier, et de la façon dont la psychanalyse se les représente, notamment Winnicott. Je m'appuierai pour cela sur certains travaux classiques d'anthropologie des rituels thérapeutiques, en particulier ceux élaborés autour des Ortigues au Sénégal, mais aussi de travaux récents d'anthropologie de l'image et de la mémoire, tout spécialement ceux de Carlo Severi. Mon propos sera d'illustrer comment l'articulation d'une philosophie et d'une sociologie d'inspiration pragmatiste (partant de l'usage et des pratiques pour aller vers le sens des concepts qui les élaborent et les réfléchissent) éclaire de façon inédite des questions controversées comme celles de la scientificité de la psychanalyse, de son lien à l'anthropologie, et du coût épistémologique et conceptuel de leur rapprochement.

Présentation des objectifs du séminaire

Il est assurément difficile de justifier aujourd'hui un séminaire de philosophie des sciences sociales sans préciser son enjeu politique, tant du côté de la politique de la science, que de la situation politique générale, et du statut contesté des sciences sociales pour armer la réflexion démocratique. En effet, la "psychologisation" des rapports sociaux n'est pas purement idéologique, un simple épiphénomène des conceptions individualistes dominantes; elle s'appuie désormais aussi sur la mobilisation de principes scientifiques, comme l'individualisme "méthodologique", ou de puissantes théories de la représentation, de la référence (en logique, en sémantique) et de l’intentionnalité qui confèrent aux sciences cognitives, voire aux "neurosciences sociales" un statut inédit. L'alliance entre sciences cognitives et économie (politique), ou les procédures de naturalisation de l'intentionnalité, commandent ainsi des styles d'action étonnamment concrets, rapportés à l'abstraction et la technicité philosophiques de leurs prémisses. Les sciences sociales spontanément holistes, enracinées dans une prise en considération systématique de l'histoire, bref, celles de la tradition française après Durkheim, en sont du coup profondément remises en cause.
Rompre avec, voire contester ce style dominant de la rationalité philosophique contemporaine est alors une tâche extraordinairement difficile. Surtout si la dispute n'est pas purement conceptuelle ou abstraite (en en appelant à Wittgenstein, par exemple, pour contester le naturalisme philosophique), mais se donne pour objectif, en investissant certaines questions que (se) posent les sciences sociales aujourd’hui, d'aborder concrètement la signification pratique, historiquement située, de nos activités de conceptualisation et d'argumentation.
Les premières séances de ce séminaire seront donc consacrées à clarifier l'enjeu des relations entre philosophie et sciences sociales dans le cadre général des études interdisciplinaires sur la réflexivité caractéristiques du Lier, en particulier en relation avec la philosophie politique et avec la sociologie historique de la connaissance. Mon but général est ainsi d'essayer de présenter certaines questions philosophiques actuelles sous un jour qui les rendent pertinentes pour la théorisation mais aussi la pratique concrète des sciences sociales et, réciproquement, de faire émerger certains enjeux conceptuels d'une grande portée philosophique de travaux récents d'anthropologie et de sociologie. Pragmatisme est ici le mot-clé. Mais, de façon peut-être plus provocante, j'en passerai par la réhabilitation, ou par la redécouverte, de deux motifs devenus presque anathèmes dans le champ de la philosophie "analytique" de la logique, du langage et de l'esprit et, par ricochet, de l'épistémologie standard des sciences sociales: la pensée de Hegel (une forme d'absolutisation conceptuelle du holisme), et la psychanalyse (le type de la théorie psychologique fausse).
Je suivrai donc ensuite deux fils, en alternance.
Je commencerai l'examen suivi des principales thèses de l'inférentialisme de Robert Brandom, dans le cadre de ce qu'il a appelé le "pragmatisme analytique". Il s'agit en effet, en philosophie de l'esprit, du langage et de la logique, d'une des tentatives contemporaines les plus puissantes et les plus systématiques de construire une alternative holiste au paradigme actuellement archidominant des théories de la représentation, de la vérité et de la référence d'orientation cognitiviste. Et la lecture que Brandom propose de Hegel, lecture si surprenante dans le contexte de la philosophie analytique, permettra de préciser le lien original qu'il élabore entre inférence, intentionnalité, action, socialité et histoire, et sa force critique aussi bien eu égard aux sciences cognitives que, par exemple, par rapport à la théorie de la décision et du choix rationnel.
Dans le sens inverse, des sciences sociales vers la philosophie, j'exposerai un travail actuellement en cours sur la psychanalyse des enfants entendue comme un "rituel thérapeutique" dans les sociétés individualistes. Adoptant un point de vue paradoxalement anti-psychologique, je donnerai une description essentiellement pragmatiste des crises de la socialisation primaire des enfants, des pratiques destinées à y remédier, et de la façon dont la psychanalyse se les représente, notamment Winnicott. Je m'appuierai pour cela sur certains travaux classiques d'anthropologie des rituels thérapeutiques, en particulier ceux élaborés autour des Ortigues au Sénégal, mais aussi de travaux récents d'anthropologie de l'image et de la mémoire, tout spécialement ceux de Carlo Severi. Mon propos sera d'illustrer comment l'articulation d'une philosophie et d'une sociologie d'inspiration pragmatiste (partant de l'usage et des pratiques pour aller vers le sens des concepts qui les élaborent et les réfléchissent) éclaire de façon inédite des questions controversées comme celles de la scientificité de la psychanalyse, de son lien à l'anthropologie, et du coût épistémologique et conceptuel de leur rapprochement.