mardi 2 mars 2021

11. L’esprit : l’ancrage historique des formes de la réflexivité (P.-F. Mouraud)

 Lectures préalables

-        Hegel Georg Wilhelm Friedrich, section A, chapitre 6, Phénoménologie de l’esprit, Jean-Pierre Lefebvre (trad.), Paris, Flammarion, coll. « GF », 2012

-        Brandom Robert, Part III, chapter 13, A Spirit of Trust, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2019 (conférence correspondante en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=e9cZPSSqr7A&feature=youtu.be)

-        Brandom Robert, « Autonomie, communauté et liberté », La Raison en philosophie, Paris, Ithaque, 2021, p.61-88. 

Références

-        Kervégan Jean-François, L’ effectif et le rationnel: Hegel et l’esprit objectif, Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie N.S », 2007.

-        Loraux Nicole, Les enfants d’Athéna: idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes, Paris, Points Seuil, coll. « Points Sciences humaines », 2007.

-        Moyar Dean (éd.), « Spirit in the Phenomenology » by Alznauer, The Oxford Handbook of Hegel, Oxford University Press, 2017.

-        Vidal-Naquet Pierre, Vernant Jean-Pierre, « Ebauches de la volonté dans la tragédie grecque » in Mythe et tragédie en Grèce ancienne, volume I, Paris, La Découverte, 2001, p.43-74

-        Hyppolite Jean, Genèse et structure de la phénoménologie de l’esprit de Hegel, Paris, Aubier, coll. « Philosophie de l’esprit », 1946.

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(Enregistrement de l'exposé

Enregistrement du séminaire)

Commentaire du chapitre VI, section A : « l’Esprit vrai. Le souci des bonnes mœurs et de la coutume ». 

A/ Introduction : comment passer de Raison à Esprit ? Comment comprendre la dimension historique de l’Esprit ?

 1.     Comment lire l’Esprit ? Pourquoi ce chapitre introduit-il une dimension historique si forte qui n’apparaissait pas autant dans les autres chapitres ? Récapitulons :

-        Les normes de la raison pratique sont abstraites et insuffisantes, à moins qu’elles ne soient entendues en lien avec les contenus concrets que nous dérivons de notre monde éthique. L’être de la loi suppose un dépassement de l’opposition entre devoir et réalité.

-        Aucune norme ne peut être contraignante ou même valide indépendamment de tout contexte social (le « changement de point de vue » p.376-377).

-        Toute tentative de justifier la raison pratique aboutit à des normes sociales.

2.     En quoi la réflexivité du Soi de l’Esprit (conception dé-subjectivé de l’Esprit) se donne-t-elle dans l’histoire ? L’agent pratique autonome ne se réfère pas seulement à une loi constitutive de sa pratique, il doit également savoir (épistémique / raison théorique) que cette loi est constitutive de sa pratique. Passage des « figures de la conscience » aux « figures d’un monde » (p.381).  Si l’agent pratique doit savoir que la loi à laquelle il se réfère est constitutive de sa pratique, deux questions se posent :

-        Ce savoir est pris dans la dialectique de la reconnaissance. Qui est donc reconnu comme celui qui le sait ?

-        Ce savoir s’institue donc socialement dans les liens de dépendance normative. De quelle sorte de dépendance s’agit-il ?

3.     De Raison à Esprit, on passe ainsi d’une forme perspectivale de la rationalité à une forme pleinement réflexive. Toute la question porte alors sur le « nœud intentionnel » c'est-à-dire la manière par laquelle sont articulées socialement les relations aléthiques dans la forme objective du fait et les relations déontiques dans la forme subjective de la pensée. 

B/ La polis grecque : comment fabriquer un statut normatif de citoyen ? 

Ne pas rabattre la Sittlichkeit de la Phénoménologie de l’esprit sur la Sittlichkeit des Principes de la philosophie du droit.

1.     Intermède historique : l’autochtonie grecque à travers l’exemple d’Athènes. Le mythe d’Erechtonios et d’Athéna : l’institution sociale de la citoyenneté à Athènes.

2.     Qu’est-ce que la substance éthique ?

-        Du côté de la substance : l’effectivité de l’essence éthique ou la loi humaine

-        Du côté du sujet : la place de l’individu ou la loi divine

-        Unité immédiate du sujet de la substance : l’autochtonie grecque exige que le x qui naît d’une femme, soit d’abord reconnu comme doté du statut de citoyen sans qu’il soit reconnu en même temps comme individu.

C/ Comment l’institution sociale de la normativité ressurgit-elle sur la structure de l’agentivité ?

L’interpénétration en soi de la substance éthique et de l’individualité est, en fait, pour soi.

1.     Le sens du conflit éthique : la conscience éthique comme caractère et l’effectivité éthique comme destin.

2.     Comment les statuts normatifs peuvent-ils être normativement contraignants quand ils sont fondés socialement sur une immédiateté naturelle ? L’auto-destruction ironique du souci éthique.

C/ Le droit : de « comment fabriquer un statut normatif de citoyen ? » à « comment fabriquer un statut normatif de personne ? »

 Cf la note de Lefebvre p.411 : Rechtzustand.

1.     Qu’est-ce que le droit n’est pas ? Ce n’est ni une limitation ou restriction du libre-arbitre (Willkür), ni l’expression unilatérale des circonstances historiques. La conception dé-subjectivé de l’Esprit hégélien se donne dans une implication du théorique et du pratique. 

2.     Le déchirement de l’unité vivante immédiate de l’individualité et de la substance conduit à un atomisme social. C’est l’émergence du Moi abstrait comme une puissance d’appropriation (la propriété).

3.     La contingence du cette première forme de Soi spirituelle :

-        Du côté de la substance : la contingence et la disponibilité

-        Du côté du sujet : l’absence de limites juridiques à l’acte d’appropriation individuelle cache en fait des limites réelles c'est-à-dire sociales et politiques (passage à la Bildung). 

D/ Conclusion : Brandom, une lecture intégralement normative de Hegel

1.     D’un concept dé-subjectivé de l’esprit comme implication du théorique et du pratique (Hegel) à une conception non-psychologique du conceptuel (Brandom) intégrant les modalités déontiques et les modalités aléthiques.

2.     Le résultat qu’atteint Brandom, c’est qu’il réconcilie par Hegel, la conception normative kantienne du sujet rationnel comme synthèse, avec l’explication pragmatiste en sémantique de la conception du contenu conceptuel en termes de force normative. Ainsi l’autonomie, c’est le nœud intentionnel unissant l’autorité de ce dont on parle sur ce qu’on en dit et la responsabilité sociale à stabiliser le contenu de ce dont on parle, dans le contexte d’une conception sociale de la normativité conceptuelle.