dimanche 13 décembre 2020

6. Lecture de "Force et entendement". D'un idéalisme qui ne serait pas transcendantal (ni donc, non plus, un réalisme empirique), mais un idéalisme objectif (corrélatif d'un réalisme conceptuel).

 Lectures préalables

G.W.F. Hegel, " Force et entendement. Phénomène et monde suprasensible", Phénoménologie de l'esprit,  chapitre III, trad. J.-P. Lefebvre, GF, p.157-186.

G.W.F. Hegel, La longue remarque après la section "Le fondement formel", ainsi que le chapitre "Le phénomène", in Science de la logique I, 2. La logique de l'essence, trad. P.-J. Labarrière & G. Jarczyk, Aubier, 1976, p.111-116 et p.178-198. 

R. B. Brandom, A Spirit of Trust, chap. 5, ""Force" and understanding - From object to concept: the ontological status of theoretical entities and the laws that implicitly define them" et chap. 6, "Objective idealism and modal expressivism", p.169-231.

Références

A. Dumont, "Le monde à l’envers selon Hegel. Réflexion sur la « scène » de l’entendement dans la Phénoménologie de l’esprit", Phantasia 2, 2015, en ligne.

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A/ Introduction

(Enregistrement de l'exposé)

1. L'opacité du texte: un jeu littéraire avec Le Monde à l'envers, du poète romantique et "ironiste" Ludwig Tieck? Les vertiges théâtraux de la représentation spéculaire/spéculative (de l'intérieur des choses à l'intériorité des esprits). Du tourbillon des perspectives à la réflexion totalisante: in vino veritas.

2. Buts négatifs du chapitre. Contre Kant: penser la conceptualisation (= la conscientisation réflexive) des objets en évitant l'opposition de la chose en soi et du phénomène, mais aussi le recours au schématisme "entre" sensibilité et entendement: le moyen-terme est syllogistique. Non pas fournir à Newton la métaphysique qui lui manque, mais remettre Newton à sa place du point de vue philosophique. Plus généralement: donner le vertige à la pensée "par représentations", mais en transformant ce vertige même en ivresse de la conscience de soi comme identité, d'abord vertigineuse, du concept et de l'objet.

3. Dans "La doctrine de l'essence" de 1813, reprise et radicalisation de "Force et entendement": du simple monde phénoménal à l'univers de la Raison. Est-ce compatible avec la stratégie de "redescente sémantique" de Brandom? Phénomène ou "révélation": la théologie sous-jacente de Hegel.

B/ De la dialectique de la perception au "jeu des forces"

1. Dialectique des "matières", de leur "médium" et de l'"Un" (formel) de la Chose perçue.

2. Ce qui surgit dans le dos de la conscience "perspectiviste" qui tournoie autour de la Chose: un nouveau critère d'objectivité de l'objet qui intègre forme et contenu. C'est la force.

3. Mais la force est du côté de l'en soi, "devant" l'entendement. Elle se dédouble alors à nouveau dans ses mouvements d'expansion dans les différences et de rétraction unificatrice qui sont chacun des mouvements "autonomes".

4. Il n'en reste pas moins que la force est devenu le véritable objet pour l'entendement (un univers, c'est ce que tient ensemble une même force, ou un même jeu de forces). Notes sur la force après Newton.

C/ Emergence du "suprasensible" moderne

1. Naissance du phénomène au sens scientifique moderne: son corrélat, une autre idée du suprasensible. La possibilité d'un arrière-monde (de Hegel à Nietzsche). Swedenborg et la Schwärmerei. Le glissement décisif: de l'explication causale par les lois à la nécessitation de l'ordre de la nature.

2. Le bon suprasensible, c'est le phénomène en tant que phénomène. Mais alors, c'est la différence réfléchie qui apparaît à la conscience dans la conscience même qu'elle a des phénomènes! Elle est au bord de s'y reconnaître, et de passer de l'idéalisme transcendantal à l'idéalisme objectif. L'en soi pour elle est presque l'en soi pour soi (et pour nous). Sauf qu'elle n'a que le concept (abstrait) de la loi.

D/ Du simple "concept" de la loi au "monde inversé"

1. Dialectique de la loi (universalité, particularité, singularité). Sauf que c'est désormais l'entendement qui réfléchit, et l'objet qui est réfléchi.

2. La discussion de la loi de la gravitation (F = 1/2 mv², avec v = d/t). Signification de la référence de Hegel à l'électricité: loi de Newton (1687) et loi de Coulomb (1785): pourquoi le dédoublement négatif/positif? Critique du caractère "superficiel" de l'explication physico-mathématique, qui n'arrive pas à énoncer une modalité aléthique, une nécessité réelle.

3. Dédoublement de la force, dédoublement de la loi dans l'entendement, nouvelle figure du suprasensible ("Le monde à l'envers", négation de la loi simple). Que ce second supra-sensible n'est qu'un monde anti-sensible, figé par la réification absurde de différences représentationnelles. L'échec ultime de tout kantisme: l'en-soi est un phénomène caricatural: un exemple, le caractère intelligible dans la Critique de de la Raison pure A538 (Dialectique transcendantale, chap.II, section 9, §3), et sa lecture par Schopenhauer.

4. Le saut dans la conscience de soi, quand la conscience se reconnaît enfin elle-même dans la réflexion des moments de la chose. La légalité rationnelle est celle du phénomène en tant que phénomène, et cet "en tant que" est autoposition par la conscience (de soi) de l'objectivité de l'objet.

E/ Conscience de soi et réflexivité de l'essence dans la Science de la logique de 1812-1816

Comprendre ce passage de la Phénoménologie à partir du système achevé: "La doctrine de l'essence" (1813) et la réflexivité. Pourquoi est-ce plus clair? Retour sur l'épistémologie de la force et la tautologie de l'explication par une vis dormitiva. Trois notions plus déterminées (plus explicites) qui manquaient dans "Force et entendement" (où elles étaient implicites): Fondement-condition, essence/existence et univers. Mais aussi la notion de "révélation" théologique (c'est l'être-Dieu qui se montre absolument).

F/ Conclusion: l'appropriation du chapitre III de la Phénoménologie par Brandom, premières indications.

1. Le risque pris par Hegel dans son rapport à l'objectivité scientifique positive: pourquoi l'idéalisme transcendantal paraît plus convaincant.

2. Pour sauver Hegel: articuler réalisme modal et réalisme conceptuel. Isomorphisme entre les relations modales aléthiques et les relations normatives déontiques (soit entre "substance" et "sujet"). L'articulation entre l'expérience au sens banal et la stratégie brandomienne de "redescente sémantique".

3. Lire Hegel comme l'inventeur prescient de la sémantique qui manque ... à l'épistémologie de sciences qu'il ne pouvait pas connaître! L'essence de sa modernité "pour nous", selon Brandom: son idée de la Raison, autrement dit son expressivisme modal, mais pas de la science ou de la scientificité. A explorer désormais: le lien de cette idée de la Raison à la sémantique holiste de l'action et à une conception inédite du social.