mardi 21 février 2023

6. Approcher la paranoïa à partir d'une lecture du modèle RSU : le cas de la clinique française du début XXe siècle (Dylan Guével)

(Enregistrement de la séance)

Introduction : faire travailler le schéma RSU avec la paranoïa, le cas de la clinique française début XXe siècle (Sérieux et Capgras, Dide)

A. Le problème des termes généraux théoriques : comment traiter d’un concept non spécifique à la psychiatrie, celui d’irrationalité ?

1. Deux problèmes : rendre l’irrationalité pertinente dans une description sociologique qui la refuse elle-même – et ainsi ouvrir la lecture pragmatique des déraisons

2. Proposition d’un modèle d’irrationalité qui permet de répondre à ce problème ET de capturer la texture spécifique des descriptions psychiatriques : comment penser les « folies raisonnantes » ? Je propose d’en passer par le désajustement d’attitudes et de motifs qui sont effectivement sources de règles dans l’action, mais ne sont normativement pas les bonnes raisons pour l’action.

B. La description socio-historique : quelles ressources utiliser ?

1. Hypothèse 1 : les psychoses (ici paranoïa) ont pour spécificité de ne se laisser qu’imparfaitement capturer par les descriptions sociales et/ou pratiques (insuffisance V’ – P ?). Dans ce cas, il faut faire une histoire de la construction des ajustements grammaticaux qui permettent de traiter les échecs spécifiques de la psychose (à partir des grammaires quotidiennes de l’échec disponibles à chaque époque ?)

2. Hypothèse 2 : on peut montrer que la paranoïa est un échec socialement rendu possible. Dans ce cas, les contenus socio-historiques pertinents pour décrire la maladie et les actions paranoïaques doivent partager une structure conceptuelle avec la maladie (équivalence formelle de la psychogénèse et de la sociogénèse)

a) Boltanski, Enigmes et complots (hypothèse : irrationalité par les motifs)

b) Hegel, La loi du Cœur  (hypothèse : irrationalité par les attitudes)

C. Une tentative de capturer l’émergence des spécificités de la description de la paranoïa par la clinique française (Sérieux et Capgras, Dide) au niveau des nouvelles formes de l’interaction médecin-malade 

1. Côté Sérieux et Capgras, le repérage d’un mécanisme comme celui de l’interprétation suppose que les médecins ne s’intéressent plus seulement à ce que le malade croit et fait, mais comment le malade croit et fait. Conjonction de la démocratisation fonctionnelle (le malade est de plus en plus un interlocuteur à prendre au sérieux) et surtout d’un nouvel intérêt pour la manière dont la raison se construit au lieu d’être un donné (époque de l’émergence du pragmatisme, du problème des « formes élémentaires » des catégories chez Durkheim…)

2. Côté Dide, la caractérisation du personnage de l’idéalisme passionné suppose d’abord une capacité à interagir de manière intéressée aux doctrines des idéalistes, et donc un nouveau personnage de psychiatre (Dide serait devenu « l’ami » d’un de ses premiers patients idéaliste passionné, ce qui semble corroboré par les descriptions que donne Albert Londres). Mais il faut également de nouveaux rapports subjectifs à ce qu’est un idéal et la manière dont il faut l’incarner ou le soutenir. Importance du rapport moderne à l’universel qui est à réaliser, et par lequel je peux prétendre obliger les autres.

Conclusion : Quel apport de la lecture pragmatiste dans cette histoire de la psychiatrie ? Elle permet, du côté de Sérieux et Capgras, de situer la découverte de « mécanismes » psychologiques dans la clinique (qu’on pourrait alors revaloriser comme exercice). Du côté de Dide, elle pose la question de l’inexistence de catégories cliniques contemporaines qui permettraient de capter des pathologies ne se caractérisant pas par des actions mauvaises ou des croyances incorrectes en elles-mêmes mais par leur insertion problématique dans des contextes sociaux d’action plus généraux (ce n’est pas l’idéal du passionné qui paraît fou, mais la manière dont celui-ci le possède et le pousse à des actions extrêmes).