samedi 2 février 2019

6. L'architectonique de Making It Explicit

Lecture préparatoire

"Avant-propos de l'auteur", in Rendre explicite 1, trad. I. Thomas-Fogiel et alii, Cerf, 2010, p.31-53; "Preface", Making It Explicit, Harvard University Press, 1994, p.xi-xxv.
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(Enregistrement de la séance)

A/ Architectonique et systématicité de la pensée de Brandom

Clarifications sur l'architectonique. Différence entre Making It Explicit et Articulating Reason.
D'une systématicité kantienne (un schème au service d'une Idée) à une systématicité hégélienne (réflexive, autoréférentielle)
Se retrouver "chez soi" dans le langage et la pensée: platitude du commencement et de la fin, grandeur du cheminement
Les deux parties du livre: du langage à l'esprit (par l'explication de la "pratique discursive"), puis de la proposition au concept (avec la reconstruction de l'acte de "représenter")

B/ Les chapitres 1 et  2 comme autoposition de Brandom à la pointe d'une double trajectoire historico-conceptuelle: Kant, Frege et Wittgenstein (la normativité), puis Frege, Sellars, Dummett (l'inférentialisme)

La stratégie de Brandom pour contourner l'opposition intentionnalisme / naturalisme.
"Habilitation"et "engagement". Statuts et attributs normatifs.
Articulation d'une pragmatique normative à une sémantique inférentialiste.
Les deux faces du logos humain: langage et raison.

C/ Le cœur spéculatif de Making It Explicit: les chapitres 3 et 4 sur la perception et l'action du point de vue du langage

L'analyse en termes de "marquage au score" déontique: le jeu qu'on joue est bien un jeu de langage; l'assertion comme jeu de langage autosuffisant.
Comment ce point de vue permet de court-circuiter la question psychologique, individualiste et expérientielle de la croyance et de l'intention d'agir.
Brandom lecteur de Sellars: les perceptions comme "entrée" dans l'espace des raisons", et les actions comme "sortie".
La notion de "fiabilité" pour la philosophie de la perception, et le renouveau du "syllogisme pratique" en philosophie morale.
Sous-entendus critiques contre la philosophie cognitive standard (la théorie causale de la référence), et la théorie du choix rationnel (croyances, préférences, actions).

D/ La transition du chapitre 5 entre les deux parties: le problème de la vérité et de la référence

Une stratégie pragmatique par une description de la manière dont on fait usage des expressions "vrai" et "réfère", d'où est dérivé le sens de ces expressions.
Un outil technique particulier pour réaliser ce programme: l'idée de "pro-phrases" qui fonctionnent comme des pronoms. "Cela est vrai" comme pro-phrase avec une reprise "anaphorique". Mais ce qui est transporté de l’antécédent phrastique dans la pro-phrase, ce sont des engagements normatifs, pas des significations toutes faites.
Une théorie déflationniste de la vérité, au lieu de la trivialisation pragmatique habituelle (James).

E/ Le labyrinthe logico-philosophique de Making It Explicit: la "déduction transcendantale" de l’existence des objets (et des prédicats) via la généralisation de la méthode par "substitution" et "anaphore" aux composants subphrastiques: les chapitres 6 et 7.

Ce dont Brandom est le plus fier, et qu'il considère comme un achèvement de nature métaphysique.
Quatre caractéristiques de la méthode:
  • une sémantique des rôles conceptuels qui n'a de sens que dans les échanges de propositions au sein de la vie sociale
  • le conceptuel n'est pas de nature représentationnelle, mais inférentielle
  • le caractère compositionnel des énoncés logiques est reconstruit en termes de "contribution indirecte" des éléments subphrastiques à l'articulation inférentielle propre à l'énoncé complet
  • le modèle est assez expressif pour rendre compte de notre pouvoir de saisir conceptuellement des objets singuliers et les utiliser dans nos inférences.
Clin d’œil à Hegel: la déduction des formes syllogistiques dans la Science de la logique, et la saisie conceptuelle du "ceci sensible" dans la Phénoménologie de l'esprit

F/ Le chapitre 8: la sortie du labyrinthe, et la double solution pragmatiste au problème du caractère référentiel de la représentation et du caractère intentionnel de l'action.

Réussir à expliquer la référence et la représentation en termes normatifs et inférentiels, c'est parvenir à expliquer pourquoi et comment nous avons accès, dans nos pratiques inférentielles et normatives (donc intersubjectives et sociales), à une vérité cependant objective: comment sont obtenus et évalués "l'effet d'adéquation à la chose" d'une croyance vraie et le "succès réel" d'une action intentionnelle.
L'importance cruciale des propositions de re et de l'habilitation socialement sanctionnée à s'y engager comme pierre de touche pragmatique de l'objectivité des représentations.
On parvient à une explicitation complète, quand peut dire, au moyen du vocabulaire logique, ce que nous faisons en pratique quand nous conférons des contenus conceptuels objectifs à nos expressions.
"La logique est l'organe de l'autoconscience sémantique" (RE 46)

G/ La conclusion autovalidante de la méthode expressiviste de Brandom: l'invention d'un idiome philosophique où "tout peut être dit". Le "modèle" du langage et de la logique ainsi reconstruit est, circulairement, exactement celui requis pour écrire Making It Explicit.

L'autoréférence et la complétude expressive du projet, et la référence à Hegel.
Pourquoi chacun, équipé du "modèle" (i.e. du système) de Brandom, peut désormais dire "nous", en tant que membre individuel de la communauté des êtres de langage et de raison.