dimanche 8 décembre 2019

Chapitres de livre et articles pour l'évaluation

Choisir un texte dans la liste ci-dessous et en présenter une analyse détaillée: présentation exacte du contenu, et discussion conceptuelle en fonction des enjeux du séminaire.
Il est possible de faire des suggestions différentes, mais mon accord est indispensable.
Les fiches de lecture attendues sont d'une dizaine de pages.
  • "Hegel pragmatiste?", Philosophie n°99, automne 2008: au choix l'article de McDowell, de Brandom ou de Pippin.
  • Abram J. & R.D. Hinshelwood, The Clinical Paradigms of Melanie Klein and Donald Winnicott, Routledge, 2018: un des chapitres.
  • Brandom R., Reasons in Philosophy: Animating Ideas, 2009: un des chapitres.
  • Brandom R., L'Articulation des raisons, trad. franç., 2009: l'introduction ou un des chapitres.
  • Brandom R., "Towards Reconciling Two Heroes: Habermas and Hegel", Argumenta 1 (2015), 29-42 (en ligne)
  • Callegaro F., La Science politique des modernes. Durkheim, la sociologie et le projet d'autonomie, 2015: un des chapitres.
  • Cometti J.-P., Qu'est-ce que le pragmatisme? Gallimard, 2010, les chapitres 3, 5 ou 7.
  • Durand-Gasselin J.-M., "Actes de parole et théorie critique" in De l'Action au discours: le concept de speech act au prisme de ses histoires, B. Amboise (éd.), ISTE, Londres, 2018.
  • Freud A., Le Traitement psychanalytique des enfants, trad. franç., PUF, 1951.
  • Freud S., "Analyse de la folie d'un garçon de cinq ans", trad. franç., Oeuvres complètes IX, p.1-130.
  • Kahn L., Cures d'enfance, 2004: un des chapitres.
  • Karsenti B., D'une Philosophie à l'autre. Les sciences sociales et la politique des modernes, 2013: "Appartenir à la modernité"
  • Klein M., La Psychanalyse des enfants, trad. franç., PUF, 1959, le chapitres 1 ou le 2.
  • Habermas J., "De Kant à Hegel. La pragmatique linguistique de Robert Brandom", in Vérité et justification, Gallimard, 1999.
  • Lemieux C., Le Devoir et la grâce, 2009: un des chapitres.
  • Wanderer J., Robert Brandom, 2008: un chapitre parmi les quatre premiers.
  • Loeffler R., Brandom, 2018: un des chapitres.
  • Mannheim K., Idéologie et Utopie, trad. franç., éditions de la Maison des sciences de l'homme 2006: "Sociologie de la connaissance".
  • Perinetti D. & Ricard M.-A. (éds.), La Phénoménologie de l'esprit de Hegel: lectures contemporaines, 2009: au choix l'article de Brandom, de Pinkard ou de Siep.
  • Price H., "Expressivism for two voices", in J. Knowles & H. Rydenfelt (éds.), Pragmatism, Science and Naturalism, Peter Lang, Zürich, 2011, p.87-113.
  • Winch P., L'Idée d'une science sociale et sa relation à la philosophie, trad. franç., 2009: un des chapitres.
  • Winnicott D.W., La Consultation thérapeutique et l'enfant, trad. franç., Gallimard, 1971: la préface de Masud Kahn, "Une certaine intimité".

lundi 18 novembre 2019

2. Philosophie "et" sciences sociales: pourquoi Brandom?

Lectures recommandées

Habermas J., "De Kant à Hegel. La pragmatique linguistique de Robert Brandom", in Vérité et justification, Gallimard, 1999. (Original en anglais)
Durand-Gasselin J.-M., "Actes de parole et théorie critique" in De l'Action au discours: le concept de speech act au prisme de ses histoires, B. Amboise (éd.), ISTE, Londres, 2018.
Karsenti B., D'une Philosophie à l'autre. Les sciences sociales et la politique des modernes, Gallimard, 2013: notamment le chapitre "Appartenir à la modernité".
Lemieux C., Le Devoir et la grâce, Economica, 2009.
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(Enregistrement de la séance)

(suite et fin de la séance 1)

B/ D'un antinaturalisme critique abstrait à un programme concret de dénaturalisation en philosophie de l'esprit: "philosophie sociale" de l'esprit et sciences sociales.

1. Rappel de la séance précédente:
  • La timidité de l'antinaturalisme philosophique devant le fait épistémique qu'il y a des sciences sociales (Winch). Considérer d'abord ces sciences comme expression moderne ultime de l'enquête des Modernes sur leur condition  : la "société des individus" (Durkheim, Elias, Dumont). La fin de la philosophie politique "classique" et le problème inédit de la démocratie (Karsenti).
  • L'intrication décisive de deux récits: l'histoire rationnelle de l'autonomisation réflexive et critique des Modernes dans sa forme philosophique depuis les Lumières, et l'ambition scientifique de dénaturalisation de la socialité humaine portée par l'histoire et la sociologie (Callegaro).
  • Tout autre chose qu'une "épistémologie" des sciences sociales: une co-appartenance de la philosophie moderne et des sciences historiques et sociales au développement autonomisant de la réflexivité collective.
2. Deux défis métaconceptuels pour une philosophie vraiment sociale de l'esprit.
  • Une fois posée l'antériorité du social-discursif, comment justifier la genèse dialogique d'un contenu conceptuel-propositionnel objectif?
  • Comment déplier la philosophie comme expression-articulation de la rationalité réflexive des Modernes?
C/ Pourquoi Brandom?
  • Ces deux défis relevés dans un cadre pragmatiste, et considérés comme les deux faces du même problème. Ni représentationnalisme, ni fondationnalisme — mais un "système".
  • Pragmatique normative (Kant, Wittgenstein) et sémantique inférentialiste (Frege, Dummett, Sellars): Making It Explicit (en allemand, Expressive Vernunft).
  • Une histoire rationnelle de l'intentionnalité et de la représentation dans la philosophie des Modernes: Tales of the Mighty Dead.
  • Une reconstruction du développement de la logique du 20ème siècle en termes expressifs: Between Saying and Doing.
  • Une redécouverte de Hegel et du caractère normatif-social de la production de la rationalité objective via la reconnaissance (Anerkennung): The Spirit of Trust.
  • Là où Brandom s'arrête: le débat avec Habermas, et l'engagement concret avec l'enquête empirique en sociologie pragmatiste (Lemieux).

mercredi 6 novembre 2019

1. Philosophie "des" sciences sociales, philosophie "et" sciences sociales, reprise

Lectures recommandées

Callegaro F., La Science politique des modernes. Durkheim, la sociologie et le projet d'autonomie, Economica, 2015.
Cometti J.-P., Qu'est-ce que le pragmatisme? Gallimard, 2010.
Winch P., L'Idée d'une science sociale et sa relation à la philosophie, trad. franç., Gallimard, 2009.
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(Enregistrement de la séance)

A/ Le "champ de bataille" (Kampfplatz) de la philosophie de l'esprit contemporaine

1. Le tropisme naturaliste de la philosophie de l'esprit dominante
  • Le postulat de l'antériorité réelle des intentions sur les significations linguistiques et les actions.
  • L'idée d'un contenu propositionnel qui serait mental.
  • Le statut central de la représentation et la sémantique de la vérité qui s'y articule.
  • Le besoin d'un contact "causal" entre l'esprit et le monde et ses solutions neurocognitivistes-évolutionnistes.
  • Les "sciences de la nature" comme idéal de rationalité, l'individualisme méthodologique.
  • La philosophie naturaliste de l'esprit comme instance épistémologique critique des "sciences sociales". Importance cruciale de la rationalité économique.
  • Remarques sur l'organisation sociale de la pratique de la philosophie ainsi comprise.
2. Les résistances à ce tropisme purement internes à la philosophie (les motifs néo-wittgensteiniens de l'antinaturalisme critique)
  • L'importance du langage ordinaire (la logique, fait discursif ou fait mathématique?) et le primat du langage et de la vie sociale.
  • Ce n'est pas vraiment l'intentionnalité qu'on naturalise (intentionnalité-raison et intentionnalité-cause).
  • Le statut non-naturalisable des normes de la rationalité (Davidson).
  • Comment répondre à l'objection du dualisme: qui peut encore croire à un esprit "séparé"?
  • Remarques sur le caractère socialement minoritaire des thèses antinaturalistes.
3. D'un antinaturalisme critique abstrait à un programme concret de dénaturalisation en philosophie de l'esprit: "philosophie sociale" de l'esprit et sciences sociales.
  • La timidité de l'antinaturalisme philosophique devant le fait épistémique qu'il y a des sciences sociales (Winch). Considérer d'abord ces sciences comme expression moderne ultime de l'enquête des Modernes sur leur condition  : la "société des individus" (Durkheim, Elias, Dumont). La fin de la philosophie politique "classique" et le problème inédit de la démocratie (Karsenti).
  • L'intrication décisive de deux récits: l'histoire rationnelle de l'autonomisation réflexive et critique des Modernes dans sa forme philosophique depuis les Lumières, et l'ambition scientifique de dénaturalisation de la socialité humaine portée par l'histoire et la sociologie (Callegaro).
  • Tout autre chose qu'une "épistémologie" des sciences sociales: une co-appartenance de la philosophie moderne et des sciences historiques et sociales au développement autonomisant de la réflexivité collective.

vendredi 1 novembre 2019

Annonce du séminaire pour 2019-2020

Le principe général du séminaire et sa visée pédagogique est de rapprocher la pratique effective des sciences sociales des enjeux d’ordre argumentatif et conceptuel, philosophiquement pertinents, qu’elles soulèvent. Réciproquement, ce séminaire vise à formuler ou reformuler certaines questions débattues en philosophie morale, en philosophie de l’esprit et du langage et en épistémologie des sciences sociales, en les confrontant aux enjeux des enquêtes empiriques qui les prennent pour objet (voire de susciter de telles enquêtes).
L’hypothèse est que philosophie et sciences sociales, sans préséance de l’une sur l’autre, peuvent, correctement articulées, déployer des dimensions inaperçues de la réflexivité critique dans les circonstances historiques qui sont les nôtres.

Le séminaire est également inscrit dans le parcours de « philosophie contemporaine » co-habilité par l'ENS

Le séminaire 2019-2020 continuera les travaux de l'année précédente, en les centrant tout particulièrement sur la notion de représentation. Je l'aborderai sur deux axes, un premier, épistémologique et sémantique, en relation avec les notions d'intentionnalité, de référence et d’objectivité, et un second, psychologique et anthropologique, en relation avec les notions d'image, de signe et de symbole.

Je continuerai donc le commentaire de Making It Explicit de Robert Brandom, en passant à la deuxième partie du livre, explicitement consacrée à cette notion. Et je poursuivrai également l'enquête amorcée sur la psychanalyse des enfants, en m’intéressant aux usages qu'on y fait du dessin pour avoir accès à des contenus psychiques inconscients.

Dans l'un et l'autre cas, l'accent sera mis sur des manières spécifiquement pragmatistes de mener l'enquête philosophique.

Je commencerai par une reprise circonstanciée des résultats du séminaire de l'an passé, pour ceux et celles qui n'y auraient pas assisté.

dimanche 29 septembre 2019

Compte rendu d'enseignement 2018-2019 pour l'Annuaire de l'EHESS

Le séminaire inauguré cette année revendique fortement son titre, philosophie « et » sciences sociales, par contraste avec un autre dont il se démarque, malgré des affinités de contenu évidentes : philosophie « des » sciences sociales. Il ne se propose pas, en effet, une critique épistémologique des sciences sociales contemporaines. Il se propose tout autre chose : mettre à l’épreuve une hypothèse de grande portée selon laquelle la philosophie et les sciences sociales, solidairement, contribuent à augmenter la réflexivité collective sur les transformations des sociétés modernes, voire expriment (articulent, rendent plus explicite) cette réflexivité à l’œuvre dans les pratiques sociales de tous ordres caractéristiques de cette modernité.
L’expression « sciences sociales » est prise au sens large : il s’agit non seulement de la sociologie et de l’anthropologie, mais aussi bien de l’histoire, voire du droit (au moins sous certains aspects), mais aussi de la psychanalyse – ne serait-ce que parce que cette dernière est apparue comme une forme de réflexivité spécifique dans la modernité récente, sans oublier la mise en cause radicale des idéaux du moi qu’a su y identifier la « théorie critique ».
Un fil conducteur naturel pour développer cette grande hypothèse, c’est d’examiner comment le « tournant pragmatiste » des sciences sociales contemporaines (au cœur du programme scientifique du Lier-FYT) bénéficierait des avancées de la philosophie pragmatiste actuelle, mais aussi de l’élucidation des difficultés qu’elle a mises au jour dans le projet pragmatiste initial (celui de Dewey ou de Mead). De façon symétrique et inverse, on se propose de confronter cette philosophie (qui est une philosophie de l’esprit, donc du langage et de la logique, mais aussi une philosophie de l’action et une philosophie sociale) aux avancées et aux problèmes des sciences sociales d’inspiration pragmatiste.
Un accent particulier a été mis sur le « champ de bataille » (Kampfplatz, dit Kant) qu’a ouvert aujourd’hui la contestation des doctrines dominantes de la représentation et de l’action avec, disons, le tournant naturaliste et cognitiviste de la philosophie « analytique ». La construction d’une alternative rigoureuse à ce tournant est notoirement difficile. Vérité, objectivité, relativisme et constructivisme, historicisme ou platonisme, autant de notions et d’options au centre du débat. Mais surtout, la rationalité que promeuvent ces conceptions dominantes dans le champ de la philosophie analytique d’aujourd’hui est généralement contraire à l’esprit des sciences sociales « classiques » – si, du moins, on considère que l’individualisme méthodologique est incompatible avec le courant issu des travaux de Durkheim, Mauss, Elias, etc. Les séminaire trouve donc dans le croisement de ces disputes, qui a été peu entrepris de façon systématique, son terrain propre.
Pour commencer à l’arpenter, le séminaire s’est donc déployé sur deux axes.
Le premier, c’est un commentaire de l’œuvre majeure de Robert Brandom, Making It Explicit. Le philosophe américain s’est en effet consacré à proposer une alternative méthodique, d’inspiration explicitement pragmatiste, aux théories dominantes de la représentation et de l’action. Le maître-mot de cette alternative, c’est un rationalisme dit « expressiviste », et c’est à sa clarification qu’on s’est attelé. En 2018-2019, la moitié de l’œuvre a été parcourue, contextualisée au sein des polémiques philosophiques d’aujourd’hui, et rattachée dans ses grandes lignes à une lecture ample de l’histoire de la philosophie moderne : Kant, Hegel, Frege, Wittgenstein et Heidegger. On a aussi commencé à élucider les relations de Brandom avec Sellars, Dennett et Davidson. L’année 2019-2020 sera consacrée à lire la seconde moitié du livre.
Le second axe est moins intuitif et plus empirique. Il a consisté à interroger sur la base d’une philosophie de l’esprit et d’une philosophie sociale pragmatistes une pratique tout à fait particulière : la psychanalyse avec les enfants. À rebours de la compréhension psychologique de ces pratiques par les acteurs eux-mêmes, on a commencé à soulever l’hypothèse qu’il s’agirait non pas de l’application d’une théorie du fonctionnement mental morbide des enfants, théorie prétendument corroborée par la clinique, mais d’un « rituel thérapeutique » qui se décline en une série d’opérations visant à resocialiser des enfants confrontés aux contradictions et aux contingences de leur devenir-adulte. C’est une illustration éloquente de la force critique de l’approche pragmatiste pour dénaturaliser et dépsychologiser certains faits sociaux et les théories que s’en font les acteurs, mais en s’efforçant toutefois de respecter ces pratiques, et de comprendre les principes de leur efficacité sociale en fonction des contraintes de tous ordres (institutionnelles comme épistémiques) qui s’exercent sur les protagonistes et sur les idéologies qui émergent de leurs pratiques concrètes. En 2019-2020, l’enquête se poursuivra, mobilisant toujours plus des approches socio-anthropologiques alternatives à la psychologie, en approchant de plus près les faits et gestes des psychanalystes avec les enfants. Or la philosophie pragmatiste peut, selon nous, renouveler à la fois la philosophie et l’histoire de la psychanalyse, mais aussi, à plus longue échéance, réarticuler de façon originale (distincte en tout cas de la « théorie critique ») la psychanalyse au champ des sciences sociales. Vu le crédit dont jouit cette dernière depuis une vingtaine d’années, nul besoin de souligner à quel point cet autre front du champ de bataille promet lui aussi d’être animé.
Sur le plan pédagogique, enfin, ce séminaire a mis en œuvre deux pratiques, qu’on reconduira. Tout d’abord, les étudiants sont invités à abandonner toute attitude de surplomb touchant l’élaboration philosophique et épistémologique, puisque les polémiques qu’on tente de comprendre et de formaliser sont ceux dans lesquels nous sommes tous pris actuellement. Commenter un philosophe vivant, comme Brandom, qui a d’ailleurs publié cette année son deuxième livre majeur, A Spirit of Trust, c’est ne plus pouvoir s’abriter derrière des interprétations légitimes et stabilisées, comme ils en ont eu l’habitude lors de leurs études antérieures. C’est dialoguer de plain-pied avec lui. Outre les habituelles fiches de lecture, il a donc été proposé aux volontaires de traduire un ouvrage de Brandom, Reason in Philosophy, pour contribuer à disséminer ses questions. Le fruit de leur labeur sera publié avec l’aide financière de l’EHESS dès 2020. Autant que faire se peut, cet effort de traduction, c’est-à-dire à la fois de compréhension d’un penseur et de mise à disposition de ses arguments auprès de la collectivité, sera repris en 2019-2020. Second procédé encouragé : rapprocher le plus possible, quand le sujet s’y prêtait, le travail des étudiants en Master d’un terrain d’enquête concret, et de l’observation de la manière dont des acteurs engagés dans des activités déterminées font la théorie de ce qu’ils font. L’analyse conceptuelle, argumentative, réflexive et critique qui reste au cœur de la philosophie est réputée s’enrichir de l’examen « socratique » desdites activités dans leur contexte social. Un co-jury avec un sociologue est et sera toujours possible.
Le séminaire est accessible sur le blog https://philosophiesciencessociales.blogspot.com/ Les cours ont été enregistrés, ainsi que les exposés de la journée d’étude du 21 juin 2019, « Expression et expressivisme. De la philosophie de l’esprit et du langage vers les sciences sociales? » organisée par le Lier-FYT.

dimanche 19 mai 2019

Expression et expressivisme. De la philosophie de l'esprit et du langage vers les sciences sociales?

Journée d'études le 21 juin 2019, organisée par le Lier Fonds Yan Thomas
De 9h30 à 17h30, salle 8, 105 bd Raspail, Paris

Avec Pierre-Henri Castel, Francesco Callegaro, Julia Christ, Stefania Ferrando, Michel de Fornel, Edouard Gardella, Florence Hulak, Cyril Lemieux et Vincent Réveillère.

Au sein de la philosophie pragmatique contemporaine, tout particulièrement chez Robert Brandom, les notions d'expression et d'expressivisme jouent un rôle fondamental. En première analyse, ce style de pensée tient pour étroitement liées trois choses : le privilège explicatif du know how sur le know that ; l'idée de Wittgenstein selon lequel le sens d'un concept, c'est son usage ; et un principe général d'expression qui les synthétise selon lequel la démarche de l'enquête consiste à rendre réflexivement explicite (dans des concepts) ce qui est implicite (dans des pratiques).
Autour de ce motif, des notions comme celle d'« acte de langage » déclaratif (d'assertion), d'inférence, de raisonnement pratique, et le « jeu de langage » privilégié qui consiste à « demander et donner des raisons » ont fait l'objet de développements inédits.
Or on se trouve devant un paradoxe. D'un certain point de vue, tout ce que fait déjà la sociologie d'inspiration pragmatique dans ses enquêtes empiriques met implicitement en œuvre un motif expressiviste – avec une grande richesse de résultats, et sans guère susciter d'alarme épistémologique. Par contraste, l'expressivisme pragmatique suscite un certain rejet au sein de la philosophie analytique mainstream en contredisant ses tendances à se rapprocher de la psychologie cognitive et plus généralement de l'épistémologie « naturalisée », mais aussi d'une philosophie de l'action fonctionnelle-causale marquée par l'individualisme méthodologique. La position expressiviste, surtout quand elle est radicalisée, est ainsi  grosse d'une controverse ultime sur la nature de la raison.
D'où une hypothèse tentante: et si l'expressivisme de Brandom n'était rien d'autre qu'une explicitation conceptuelle du style de l'enquête pragmatiste? Mais en réalité, sa philosophie ne fait aucun pas dans cette direction. Au mieux, certains liens se tissent avec une vision normative de la société, de l'« agir communicationnel » et de l'histoire qu'on trouve chez Habermas.
Cette journée se propose donc d'examiner, entre philosophes, linguistes et  sociologues, si et en quoi l'expressivisme (renouvelé par Brandom et Taylor) peut éclairer, voire enrichir l'appareil théorique de l'enquête en sciences sociales – ou pas. Divers aspects seront abordés: ce qu'est une raison d'agir, en quoi consiste le holisme méthodologique, l'idée d'histoire et même de sociologie historique de la connaissance qui sous-tend la démarche ; mais aussi, à rebours des situations normatives idéalisées en philosophie, ce qui empêche, ou facilite, dans la vie sociale empirique, l'expression réflexive et donc critique du contenu implicite des pratiques.
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Programme

La plupart des textes (accessibles sur ce blog), seront brièvement résumés et discutés par un premier répondant avant d'ouvrir les échanges collectifs.

9h30-10h15 Pierre-Henri Castel, Brandom, son expressivisme, et l'orientation pragmatiste en sciences sociales (discussion introduite par Francesco Callegaro)

En introduction à cette journée d'études, un crash course sur Brandom, et une première justification de l'hypothèse selon laquelle sa philosophie présente un intérêt majeur pour les sciences sociales d'inspiration pragmatiste.

10h15-11h Francesco Callegaro, L’expression du social. Brandom, Wittgenstein, Durkheim

Compte tenu de la place centrale qu’il accorde aux pratiques sociales, l’expressivisme rationaliste de Brandom semble pouvoir nous aider à clarifier les présupposés conceptuels ultimes des sciences sociales. En revenant sur sa relecture de l’argument de Wittgenstein au sujet du suivi des règles, je vais essayer de montrer au contraire que Brandom a souscrit à des engagements théoriques qui lui ont empêché de saisir le trait distinctif du social. Sans méconnaître les apports de l’expressivisme, il faut donc lui faire subir une torsion sociologique, si l’on veut le mettre au service des sciences sociales. Un lieu électif d’épreuve est l’argument analogue avancé par Durkheim dans les Formes élémentaires, selon lequel la raison humaine est un produit des pratiques sociales.

Pause

11h15-12h30 Michel de Fornel, Normes sociales, assertion et communication

L’une des forces de l’approche de Brandom dans Making it explicit et dans ses ouvrages ultérieurs est de défendre une perspective expressiviste radicalement différente de l’approche traditionnelle. Cet expressivisme que Brandom qualifie de « rationaliste » s’incarne dans un modèle associant de façon originale une sémantique inférentialiste et une pragmatique normative. On a souvent noté qu’une telle forme d’expressivisme le conduit à accorder une place centrale à un acte de langage, l’assertion,  et à une pratique linguistique, l’offre et la demande de raisons. Brandom semble sur ce point diverger de la théorie des actes de langage d’inspiration austinienne (et plus généralement de la socio-pragmatique) qui, tout en partageant la même orientation anti-représentationnelle et anti-intentionnaliste, n’a cessé de combattre l’idée d’un primat des actes de type assertif. On se propose de discuter de l’analyse de l’assertion en termes de score déontique proposée par Brandom, puis de montrer l’existence d’une convergence possible entre l’approche normative et l’approche performative.

12h30 13h15 Vincent Réveillère, Penser l'institution des concepts juridiques avec Robert Brandom.

L’approche de Robert Brandom présente un rapport particulier à la pratique du juge. En effet, pour expliquer le mécanisme d’institution sociale des normes, il prend souvent l’exemple du juge de Common Law. Le choix n’est guère surprenant. On peut penser que l’auteur y voit un cas prototypique du processus d’explicitation des normes implicites à une pratique. En effet, de nombreux mécanismes que Robert Brandom cherche à mettre en évidence dans le cas du langage ordinaire se trouvent de façon beaucoup plus explicite dans le langage juridique. En outre, la controverse se déroulant devant le juge correspond bien à la pratique du langage sur laquelle il se concentre : demander et donner des raisons. Toutefois, la vision idéalisée du Common Law que propose le philosophe tient plus lieu d’exemple pour expliquer sa thèse que de véritable objet d’étude.
Dans une posture opposée, nous proposons d’utiliser le travail de Robert Brandom pour penser l’institution des concepts juridiques en nous appuyant sur un passage de notre thèse de doctorat (Le juge et le travail des concepts juridiques : le cas de la citoyenneté de l’Union européenneInstitut Universitaire Varenne LGDJ-Lextenso, 2018). Plus spécifiquement, nous aborderons deux questions dans cette communication. Tout d’abord, nous chercherons à montrer que concevoir l’institution du contenu conceptuel comme un processus social et historique permet de dépasser des difficultés que l’on rencontre quand on pense les concepts comme des représentations définies a priori par des conditions nécessaires et suffisantes. Ensuite, nous proposerons une réflexion sur la façon dont le modèle que propose Brandom peut être développé pour penser la controverse se déroulant devant le juge comme participant à l’institution des concepts juridiques.

13h15-14h Pause déjeûner (les étudiants sont invités, dans la mesure des sandwiches disponibles!)

14h-14h45 Florence Hulak, L’expressivisme de Charles Taylor, une passerelle entre philosophie de l’esprit et sciences sociales ? (Voir le document joint)

Il peut être tentant de concevoir la pensée de Charles Taylor comme la médiation manquante entre philosophie de l’esprit expressiviste et sociologie pragmatique. En effet Taylor convoque une théorie de l’esprit et du langage puisée dans une tradition qu’il qualifie d’expressiviste (Herder, Hegel, Wittgenstein) pour proposer une lecture holiste et interprétative des phénomènes sociaux, critique des approches atomistes ou naturalistes. Nous soutiendrons toutefois que cette passerelle ne tient pas, parce qu’elle prend la forme d’une herméneutique politique qui est en réalité incompatible avec une philosophie de l’esprit d’ascendance wittgensteinienne (ce que confirme la lecture du débat de Taylor et Brandom sur Making It Explicit), comme avec les sciences sociales.

14h45-15h30 Stefania Ferrando, Du pouvoir à l’autorité symbolique : rendre explicite l’implicite est une pratique politique.

Ma contribution portera sur le concept de « autorité symbolique », tel qu’il a été élaboré par la philosophe Luisa Muraro. L’explicitation conceptuelle de ce qui est implicite dans les pratiques est d’abord une forme spécifique d’enquête scientifique ou plus largement d’entreprise intellectuelle. Il est toutefois important de reconnaître que, dans l’histoire de certains mouvements politiques modernes (féministes mais aussi ouvriers), cette explicitation réflexive a aussi été intégrée comme un moment central de la pratique politique elle-même.
Quelles sont les conditions pratiques de l’articulation conceptuelle de l’implicite des pratiques dans le cadre de ces contextes politiques ? Parmi ces conditions, on assignera une place centrale à l’émergence de formes d’autorité symbolique, censées permettre une circulation entre le langage et l’expérience qui s’oppose à la prise du pouvoir sur la compréhension et la description de l’implicite des pratiques. Les travaux de la philosophe Luisa Muraro consacrés à la linguistique et à la psychanalyse (Maglia e uncinetto ; L’ordre symbolique de la mère) vont nous permettre d’une part de préciser le concept de « autorité symbolique » et d’autre part de montrer son articulation explicite à partir des pratiques politiques du féminisme radical italien.

15h30-15h45 Pause

15h45-16h30 Edouard Gardella. Sociologie de la réflexivité: à partir d'un article sur la relation d'assistance.

Je partirai d'un article paru dans Sociologie du travail, qui propose une approche réflexive de la relation d'aide ; réflexive au sens du LIER, c'est-à-dire attentive à la façon dont les acteurs manifestent une réflexivité dans le cours de leurs pratiques. L'objectif est de voir comment, à partir de descriptions ethnographiques de situations et de dynamiques d'interactions, on peut en inférer, en tant que sociologue, la normativité de l'agir qui se rend observable dans les pratiques ; le type de pratiques concernées ici étant une relation d'assistance auprès de sans-abri. Je proposerai sur cette base des pistes pour voir comment sociologiser une appréhension de la normativité de l'agir à partir de Brandom.
Les lecteurs pourront se concentrer sur l'introduction (qui pose l'importance de l'observation de la façon dont les professionnels tiennent compte de la réception de l'aide qu'ils prodiguent pour faire passer d'une philosophie du care à une sociologie de la relation d'aide) et la 4e partie de l'article (dans laquelle il y a une longue description d'une situation où la réception de l'aide est incertaine).

16h30-17h15 Cyril Lemieux, Tendances à agir et expressivité sociale (à partir du Devoir et la grâce, 2009, p.112-125).


samedi 18 mai 2019

12. Percevoir, penser/parler, agir: l'espace discursif-inférentiel des raisons, ses entrées et ses sorties

Lectures préalables

R. Brandom, chapitre 3, "Pratique linguistique et engagement discursif" et chapitre 4 "Perception et action", in Rendre explicite 1, trad. I. Thomas-Fogiel et alii, Cerf, 2010, p.285-383 et p.384-505.
D. Lewis, "Scorekeeping in a language game", Journal of Philosophical Logic, 1979, 8, n°3, p.339-359. Cet article étant assez brutal, je suggère aux âmes sensibles qui s'y risqueraient de commencer par lire la notice "Baseball" sur Wikipédia.
M. Girel, "Wilfrid Sellars, philosophe synoptique", in La Philosophie analytique, S. Plaud & S. Laugier (éds.), Ellipses, 2011, p. 523-545.
V. Aucouturier, "la philosophie de l'action: raisons d'agir et savoir pratique", ainsi que "Elizabeth Anscombe",  in La Philosophie analytique, S. Plaud & S. Laugier (éds.), Ellipses, 2011, p.421-452.
A. Bandini, Wilfrid Sellars et le mythe du donné, PUF, 2012.

A/ Enjeux de ces chapitres

1. Les chapitres 3 et 4, moments de cristallisation du point de vue de Brandom. La construction d'une alternative systématique à toute philosophie du langage et de la logique imprégnée de logicisme formaliste, à la psychologie philosophique cognitive mainstream, et aux théories de l'action inspirées de la théorie de la décision et du choix rationnel.

2. Les tensions que se vouent à résoudre ces chapitres:
  • Comment s'articulent penser et parler (primat de l'intentionnalité, primat du linguistique, intrication des deux?). Et, au fond, pourquoi parle-t-on donc? Pour Brandom, la réponse est liée à l'articulation intrinsèque de l'assertion et de l'inférence.
  • Si ce qui est au cœur du dispositif, c'est l'espace discursif et référentiel des raisons (Sellars), les "entrées" perceptives et les "sorties" sous forme d'actions d'un tel espace sont-elles nécessaires ou contingentes? Et même si elles sont contingentes, comment s'opèrent-elle?
  • Les conceptions dominantes de la perception et de l'action sont des théories fonctionnelles causales de la perception et de l'action. Qu'apporte une théorie fonctionnelle socio-normative du langage, de l'esprit, puis de la perception et de l'action comme celle de Brandom?
B/ Pourquoi votre fille n'est pas muette: du normatif et de l'inférentiel au discursif

1. De la sémantique à l'intentionnalité
Sémantique formelle et sémantique philosophique (Tarski et Davidson vs Gentzen et Dummett). Mais que signifie "partir de l'usage" pour fixer le sens? Searle et le primat de l'intentionnalité dans la sémantique de l'agent.

2. De l'intentionnalité à la discursivité
Contre l'objection du locuteur unique, les théories linguistiques de l'intentionnalité, l'analogique ou  la relationnelle (Stalnaker vs Davidson et Brandom). Le moment davidsonien de Brandom: l'intentionnalité doit avoir une forme linguistique pour permettre l'interprétation croisée (sociale) des contenus (des croyances).
Le moment post-davidsonien de Brandom:
  • La double face de l'assertion: comme acte d'asserter et comme forme "pro-positionnelle" langagière.
  • Ce qui est en débat dans l'interprétation (dans l'attribution d'états intentionnels aux locuteurs), ce ne sont pas des croyances, mais des engagements et des habilitations, des attributions, mais aussi des reconnaissances. L'ambiguïté incurable du terme de croyance (Dennett).
  • Dépsychologiser le débat: s'engager, c'est ipso facto habiliter autrui à mettre au défi votre engagement. Le rôle des assertions (comme acte et comme forme propositionnelle) est de médier linguistiquement la détermination des contenus conceptuels. La déduction brandomienne de l'homme, ton zôon logon echôn.
3. Le baseball spéculatif de Brandom, modèle réduit de la pratique linguistique

Pourquoi le baseball et pas les échecs? La balle et la bate, ouverture sur la perception et l'action.
L'idée d'un paramétrage systématique du "marquage au score" dans la conversation chez Lewis. Hyperformalisation du "jeu" dans un "jeu de langage": à quoi Untel s'est engagé, à quoi est-il habilité? Et moi en sa présence?
Les trois différences entre Lewis et Brandom:
  • Autant de joueurs, autant de scores (est-ce encore un jeu, du coup?)
  • Pas d'arbitre en position de surplomb (que devient l'objectivité de ce qu'on se représente?)
  • L'archive du score n'est pas mentale (où est-elle, alors?)
 4. L'acte d'asserter comme pratique sociale centrale: Brandom contre et avec Wittgenstein
Il y a bien un jeu de langage privilégié: celui de l'assertion (donner des raisons, donc fournir soit des prémisses soit des conclusions).
Première limitation au scepticisme: pour défier un engagement, il faut avoir soi-même des raisons auxquelles on soit habilité (contre le doute "hyperbolique").

C/ Percevoir

1. De la philosophie de l'esprit à l'épistémologie: nous n'échangeons pas seulement des assertions, mais des prétentions (claims) à connaître la réalité. Le savoir (croyance vraie et justifiée du Théétète), c'est plus que l'engagement habilité.
Une perception peut-elle produire causalement le contenu conceptuel d'un énoncé d'observation: "ici, maintenant, rouge" serait alors vrai parce qu'il y a bien ici et maintenant du rouge. La version dure: les Konstatierungen au coeur des "énoncés protocolaires" de Schlick et Carnap. Implicitement, toute les théories informationnelles cognitives causales, qui lie un format représentationnel interne de la perception à un contenu sémantiquement articulable des énoncés.

2. L'argument de Brandom:
  • Un perroquet peut dire "ici, maintenant, rouge" de façon fiable (avec régularité)
  • Toutefois, la chaîne causale fiable qui lui permet de dire cela ne suffit pas à l'asserter. L'argument du "comté des granges" (rappel de Kripke et du problème du régularisme).
  • Comment rendre la fiabilité-régularité pertinente? La solution anti-externaliste et radicalement internaliste de Sellars: l'observateur (qui n'est pas un perroquet) justifie inférentiellement ce qu'il rapporte non-inférentiellement de sa perception. Car tout concept est potentiellement une loi (une explicitation tendanciellement complète et formalisable des inférences matérielles).
  • Brandom contre Sellars: il suffit que ces inférences soient implicites en pratique; en revanche, il faut que la fiabilité soit attribuée (et donc remise en cause) dans nos transactions sociales.
3. Conclusion: il faut un espace social-discursif-inférentiel pour rendre compte du contenu conceptuel des énoncés d'observation (et ceci vaut autant pour l'empirisme logique et sa conception du "donné" que pour les naturalisations cognitivistes de la perception).

D/ Agir

1. Une explication décisive avec la théorie de la décision et du choix rationnel, avec Davidson, mais aussi contre la naturalisation cognitiviste de l'intentionnalité pratique. Point de contact capital entre philosophie pragmatiste et ouverture sociologique (médiée plus par Hegel que par Kant).
La théorie standard de l'explication intentionnelle de l'action: croyance + préférence (désir ou une autre pro-attitude normative). Lien avec la naturalisation fonctionnelle-causale de la croyance.
Le problème-clé de l'irrationalité dans les théories causales-fonctionnelles de l'action (video meliora proboque, deteriora sequor, Médée chez Ovide).

2. La stratégie de Brandom (symétrique à celle avec la perception):

  • Une approche d’abord normative à partir de l'espace des raisons: "La reconnaissance de l'engagement pratique peut être conçue comme l'intention dans laquelle la performance est produite." (RE 461). Un mécanisme différentiel fiable de réalisation de cette performance s'y ajoute (Est-ce trop facile?)
  • Si agir c'est rendre-vrai p, comme croire tenir-pour-vrai p, primat de l'assertion sur l'action.
  • Une lecture expressiviste du syllogisme pratique: il n'explique pas comment fonctionne l'action ni comment elle est causée, il explicite ce qui est implicite dans les inférences matérielles pratiques.
  • En quoi Brandom pense dépasser Davidson: a) plus besoin de faire des raisons des causes, ni l'inverse, c'est une théorie normative-fonctionnelle; b) le problème de l'irrationalité est ipso facto dissout par la distinction entre engagement et habitation; c) aucun privilège au prudentiel (à l'utilité): on peut agir pour une norme sans avoir à chercher un désir psychologique individuel (kantisme de la volonté); d) l'intentionnalité est imputable uniquement au sein du marquage au score comme jeu social.

3. Conséquences à longue portée d'une théorie expressive de l'agir.

La citation de Hegel en exergue est plus importante que la redécouverte de la théorie kantienne de la volonté. L'espace des raisons, discursif et inférentiel, de la volonté, exige la vie sociale (via la mise au défi intersubjective des engagements pratiques, qui habilitent autrui à les critiquer).
L'habitude, entre régularité causale et fiabilité individuelle et psychologique, et "seconde nature" stabilisée dans les mœurs sociales et historiques. Hegel pragmatiste?
L'espace pragmatique, recouvrement potentiel de la philosophie pragmatiste et des sciences sociales.


lundi 6 mai 2019

11. Modernité et pré-modernité au prisme des "rituels thérapeutiques"

Lectures préparatoires

G. Charuty, Folie, mariage et mort: Pratique chrétienne de la folie en Europe occidentale, Seuil, 1997.
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(Enregistrement de la séance)

A/ Un miroir anthropologique délibérément construit entre les Wolof et nous

1. Rappel des enjeux philosophiques de cette approche de la psychanalyse d'enfant.
  • Une autre philosophie de la psychanalyse, d’inspiration pragmatiste, que la critique épistémologique standard
  • Devenir une personne, et les rituels qui remédient aux accidents de ce processus: pas un problème psychologique en soi, mais un problème rendu psychologique sous certaines conditions.
  • L'approche comparative d'un point de anthropologique.
  • L'approche comparative du point de vue d'une "anthropologie philosophique" (Winch): élucider des "formes de vie" pas des faits empiriques socialement sanctionnés. Qu'est-ce donc que l'autonomie? Lien avec Brandom.
2. Le paradoxe décisif: le nit ku bon manifesterait notre "normalité". Intériorité et autocontrainte (Selbstzwang chez Elias) comme normes sociales de l'autonomisation de la personne en Occident.

3. Le régime d'action wolof et le nôtre: imitation holiste vs planification articulée des projets.
  • D'où vient notre sensibilité logico-discursive spécifique à l'intentionnalité de l'agir? Une réponse historico-anthropologique.
  • Le problème du jeu et du jouet chez les enfants, et la division du travail social. Conséquences pour une approche clinique de la socialisation primaire. Les statuts normatifs du thérapeute d'enfant.
3. Récapitulation systématique de la comparaison entre rite thérapeutique traditionnel et psychanalyse (avec les enfants)

B/ Le monde où devenir "autonome", ses périls, ses contradictions, et la forme "rituelle" de leurs solutions

1. Défense épistémologique, en sciences sociales, de l'approche comparatiste. Un cas "intermédiaire" entre le monde traditionnel wolof et le monde moderne: le "mal de saint" selon G. Charuty.

2. Situation ambiguë de la psychanalyse d'enfant comme "rituel thérapeutique" moderne.

3. Défense philosophique de l'approche comparatiste pour distinguer la pluralité des "formes de vie" (Lifeforms et Forms of life). L'"espace pragmatique" des Modernes.

4. Transition vers les problèmes de l'image et de la représentation du séminaire de l'année prochaine.
  • Le dessin d'enfant dans la pratique de la psychanalyse, signe d'une chose (psychique et inconsciente) ou trace agissante d'une force?
  • De l'anthropologie des rituels thérapeutiques à l'anthropologie de l'image et de la mémoire.

mardi 30 avril 2019

Un numéro spécial en anglais et en espagnol consacré à Brandom et Wittgenstein

J'attire votre attention sur le numéro suivant de Disputatio, qui comporte plusieurs textes classiques de et sur Brandom, en remerciant Jean Lassègue de me l'avoir signalé!

DISPUTATIO. Philosophical Research Bulletin (Madrid, ISSN: 2254-0601), is pleased to announce the publication of the first advance of Special Issue: Linguistic and Rational Pragmatism: The Philosophies of Wittgenstein and Brandom.
DISPUTATIO. Boletín de Investigación Filosófica (Madrid, ISSN: 2254-0601), se complace en anunciar la publicación del primer avance del número especial: Pragmatismo lingüístico y racional: las filosofías de Wittgenstein y Brandom.


TABLA DE CONTENIDOS | TABLE OF CONTENTS
ARTÍCULOS | ARTICLES

Asserting 
[Afirmar] (English-Spanish Edition)
http://disputatio.eu/vols/vol-8-no-9/brandom-asserting/
How Not to Read Philosophical Investigations: Brandom’s Wittgenstein  
[Cómo no leer las Investigaciones Filosóficas: El Wittgenstein de Brandom] (English-Spanish Edition)
http://disputatio.eu/vols/vol-8-no-9/mcdowell-wittgenstein/
Some Strands of Wittgenstein’s Normative Pragmatism, and Some Strains of his Semantic Nihilism  
[Algunas vertientes del pragmatismo normativo de Wittgenstein y algunas tensiones de su nihilismo semántico] (English)
http://disputatio.eu/vols/vol-8-no-9/brandom-pragmatism/
Wittgenstein and Brandom: Affinities and Divergences 
[Wittgenstein y Brandom: afinidades y divergencias] (English)
http://disputatio.eu/vols/vol-8-no-9/blackburn-wittgenstein/
Wittgenstein and Brandom on Normativity and Sociality 
[Wittgenstein y Brandom sobre normatividad y socialidad] (English)
http://disputatio.eu/vols/vol-8-no-9/macbeth-normativity/
Normativity: A Matter of Keeping Score or of Policing? 
[Normatividad: ¿una cuestión de puntaje o de monitoreo?] (English)
http://disputatio.eu/vols/vol-8-no-9/weiss-normativity/
The Pragmatic Gettier. Brandom on Knowledge and Belief 
[El Gettier pragmático: Brandom sobre conocimiento y creencia] (English)
http://disputatio.eu/vols/vol-8-no-9/frapolli-knowledge/
Wittgenstein (and his followers) on meaning and normativity  
[Wittgenstein (y sus seguidores) sobre significado y normatividad] (English)
http://disputatio.eu/vols/vol-8-no-9/horwich-meaning/
From Conceptual Content in Big Apes and AI, to the Classical Principle of Explosion: An Interview with Robert B. Brandom 
[Del contenido conceptual en los grandes monos e IA, hasta el principio de explosión clásico: una entrevista con Robert B. Brandom] (English)
http://disputatio.eu/vols/vol-8-no-9/frapolli-wischin-interview/

samedi 6 avril 2019

10. Du lien intrinsèque entre pragmatique normative et sémantique inférentialiste (2): Brandom, Frege et Dummett

Lectures préparatoires

R. Brandom, chapitre 2, "Vers une sémantique inférentielle" in Rendre explicite 1, trad. I. Thomas-Fogiel et alii, Cerf, 2010, p.57-284; Making It Explicit, Harvard University Press, 1994, p.3-140.
A. Benmakhlouf, Gottlob Frege, logicien philosophe, PUF, 2015
J. Benoist, "Frege, philosophe de l'esprit", in La Philosophie analytique, S. Plaud & S. Laugier (éds.), Ellipses, 2011, p.55-68.
M. Dummett, Frege, Philosophy of Language, Duckworth, 1981² et, à titre d'introduction, la notice sur M. Dummett de l'Internet Encyclopedia of Philosophy.

A/ Rappel: les cinq thèses fondamentales du chapitre 1
  • "Les états intentionnels, les significations, et l'espèce de compréhension qui saisit ces significations, ont une portée normative." (RE 159)
  • Les normes explicites sous forme de règles (ou d'interprétations de règles) ne se comprennent qu'à la lumière d'une forme plus fondamentale de normes, implicites dans la pratique. Le problème-clé de Rendre explicite, c'est d'expliciter les pratiques implicites de notre pratique de l'assertion.
  • Il faut craindre deux contresens sur la règle, le régulisme (intellectualiste-platonicien) et le régularisme (dispositionnaliste-empiriste).
  • On peut entièrement dénaturaliser la "sanction" normative, ce qui a des conséquences socio-politiques subtiles sur l'expertise et l'égalité.
  • Que les normes soient socialement instituées n'empêchent pas l'objectivité: la distinction entre attitudes normatives et statuts normatifs suffit à la fonder.
B/ L'architecture de la démonstration du chapitre 2

1. Critique de l'approche représentationniste, mais sans nier la nécessité du concept de représentation.
2. Frege consommant la rupture kantienne, en partant du jugement. Subordonner la sémantique à la pragmatique: les défis.
3. Critique de la théorie classificatoire des concepts chez les Classiques: Sellars et l'exigence de justification. L'inférence comme un faire: remarque sur l'expérience chez Hegel.
4. Le premier Frege contre le deuxième: l'idée d'inférence matérielle et la critique des formalistes en logique.
5. La généralisation du principe de Gentzen chez Dummett, puis des faits linguistiques aux états intentionnels: circonstances d'application et conséquences d'application d'un concept. Harmonie et conservatisme logique.
6. Comment s'emboîtent finalement pragmatique et sémantique: les règles de convenance matérielle des inférences et le fait (social) de tenir une inférence pour correcte.
7. La représentation, notion indispensable pour cerner le problème de l'objectivité des contenus conceptuels: programme de Rendre explicite.

C/ Intentionnalité et représentation

1. Rappel du point de départ: la "posture de la posture" chez D. Dennett: quel "contenu" intentionnel s'attribue-t-on?
2. Les ambiguïtés et les impasses de la représentation-désignation.
3. Kant et Descartes. Le parricide de Brandom: contre Rorty.

D/ Commencer par le jugement, compris un acte de langage privilégié: l'assertion

1. Jouer le premier Frege (et sa théorie de l'inférence) contre le second (et sa théorie de la référence).
2. Une critique radicale, mais implicite, du représentationnisme cognitiviste (J. Fodor)
3. Fauves hégéliens, perroquets lockéens et morceaux de fer qui rouillent. Comment dépasser la conception classificatoire du concept?

E/ Le primat de l'inférence matérielle sur l'implication formelle: l'expressionnisme en logique

1. Deux réécritures de Frege: insister sur les "rôles inférentiels", fonder l'implication formelle sur les inférences matérielles qu'elle conserve et explicite. Remarque sur Boole.
2. Défendre la notion d'implication matérielle contre l'argument de l’enthymème. Sellars et les conditionnels subjonctifs.
3. La stratégie de Brandom: "sellarsiser" Frege (voire l'hégélianiser, et même l'heideggerianiser!) Il faut pouvoir réviser les concepts.

F. Brandom lecteur de Dummett lecteur de Frege

1. Dummett et la généralisation du schéma de Gentzen: circonstances et conséquences de l'application d'un concept.
2. L'inférentialisme "fort": entrées perceptives et sorties comme actions dans l'espace inférentiel des raisons selon Sellars.
3. Harmonie des circonstances et des conséquences d'application et conservatisme. Comment réviser un concept sans compromettre la stabilité d'un processus rationnel? Si j'introduis dans mon langage le concept de "boche", les Allemands sont-ils cruels? Remarques sur l'histoire conceptuelle et sur une sociologie historique de la connaissance vraiment pragmatistes.

G. À quel point le lien entre pragmatique normative et sémantique inférentaliste est-il intrinsèque?

1. Les explicateurs non-expliqués: les principes logiques platoniciens ou les inférences matérielles.
2. La solution de Brandom: si les inférences matérielles sont des primitives inexpliquées sur le plan sémantique, on peut considérer leurs règles de convenance comme étant l'implicite qui s'explicite, sur le plan pragmatique, dans les attitudes qui instituent les normes sociales de la discursivité. Retour à D. Dennett.
3. Le défi ultime, l'objectivité. Comment construire une théorie pragmatique et sociale du contenu conceptuel en sorte que nous puissions tous avoir tort?

samedi 16 mars 2019

9. Qu'est-ce qu'un rituel thérapeutique pour les enfants? L'intérêt du cas wolof pour la psychanalyse (2)

Lectures préparatoires

C. Lévi-Strauss, "L'efficacité symbolique", Revue de l'histoire des religions,1949, 135, n°1, p.5-27.
E. Ortigues, "Le message en blanc", Cahiers internationaux de Symbolisme, 1964, n°5, p.75-93.
______________


A/ Rappel: les quatre objectifs d'une pratique rituelle thérapeutique:
  • Formaliser la faute au sein des catégories de la coutume
  • Produire une séparation
  • Fixer le mal, jusqu'à en faire une ressource paradoxale, symboliquement tolérable par l'individu, et qui soit source d'un destin personnel
  • Valider réflexivement l'efficacité des symboles collectifs
B/ Comment rapprocher les rituels wolof de la psychanalyse des enfants chez nous?

1. La référence à Lacan chez les Ortigues, puis à Winnicott:
  • "Le message en blanc": une guérison chez un adolescent
  • Contre l'"efficacité symbolique" de Lévi-Strauss, au sens d'une causalité formelle
  • Vers une idée non-structuraliste du rituel thérapeutique; l'éloge winnicottien de la créativité
2. Une approche pragmatiste? Indirection et introduction à un espace normatif, incertitude pratique

vendredi 1 mars 2019

8. Du lien intrinsèque entre pragmatique normative et sémantique inférentialiste (1): Brandom, Wittgenstein et Heidegger

Lectures préparatoires

R. Brandom, Chapitre 1, "Vers une pragmatique normative" in Rendre explicite 1, trad. I. Thomas-Fogiel et alii, Cerf, 2010, p.57-284; Making It Explicit, Harvard University Press, 1994, p.3-140.
R. Brandom, "Heidegger's categories in Sein und Zeit" et "Dasein, the being that thematizes", in Tales of the Mighty Dead, chapitre 10 et 11, p.298-347.
S. Kripke, Règles et langages privés. Introduction au paradoxe de Wittgenstein, trad. franç. T. Marchaisse, Seuil, 1996, chapitre 2.
L. Wittgenstein, Recherches philosophiques, trad. franç. F. Dastur, M. Elie, J.-L. Gautero, D. Janicaud & E. Rigal, Gallimard, 2004, surtout les §§ 198-202.

A/ Introduction: Heidegger, "passager clandestin" des chapitres introductifs de Rendre explicite

1. Brandom, continuateur de l'"anthropologie" philosophique du Heidegger de Sein und Zeit? Quatre motifs fondamentaux:
  • Le contraste anti-cartésien entre pragmata et "objets" dans la philosophie des Modernes, captée dans l'opposition entre Zuhandenheit et Vorhandenheit.
  • La connexion essentielle entre les renvois et la significativité qui tisse un monde et la structure apophantique de l'assertion; l'opposition entre "être approprié à" et "être une propriété de".
  • Le caractère social-discursif du Dasein. Analogie entre les attitudes normatives de l'engagement et de l'habilitation avec des existentiaux.
  • Proposition, représentation d'objet et syllogisme "pratique": le regard heideggerien critique de Brandom.
2. L'opacité de l'expressivisme de Brandom pour la tradition de la philosophie analytique standard, et sa relecture du jeune Frege en inférentialiste: enjeu central du chapitre 2.
3. Rendre explicite comme "anthropologie philosophique" alternative (en association avec le second Wittgenstein). Remarque sur la grandeur en philosophie.
4. Qui sommes-nous? Qu'est-ce que dire nous? Place de la philosophie dans l'"espace pragmatique" élargi.

B/ La pragmatique normative comme point de vue inédit sur le problème de l'intentionnalité

1. Remarque liminaire sur la différence de ton entre les chapitres 1 et 2.
2. Les cinq thèses fondamentales du chapitre 1:
  • "Les états intentionnels, les significations, et l'espèce de compréhension qui saisit ces significations, ont une portée normative." (RE 159)
  • Les normes explicites sous forme de règles (ou d'interprétations de règles) ne se comprennent qu'à la lumière d'une forme plus fondamentale de normes, implicites dans la pratique. Le problème-clé de Rendre explicite, c'est d'expliciter les pratiques implicites de notre pratique de l'assertion.
  • Il faut craindre deux contresens sur la règle, le régulisme (intellectualiste-platonicien) et le régularisme (dispositionnaliste-empiriste).
  • On peut entièrement dénaturaliser la "sanction" normative, ce qui a des conséquences socio-politiques subtiles sur l'expertise et l'égalité.
  • Que les normes soient socialement instituées n'empêchent pas l'objectivité: la distinction entre attitudes normatives et statuts normatifs suffit à la fonder.

vendredi 15 février 2019

7. Qu'est-ce qu'un rituel thérapeutique pour les enfants? L'intérêt du cas wolof pour la psychanalyse (1)

Lectures préparatoires

J. Rabain & A. Zempleni, "L’enfant nit ku bon. Un tableau psychopathologique traditionnel chez les Wolof et Lebou du Sénégal", Psychopathologie africaine, 1965, I, n°3, p.329-441.
M.-C. & E. Ortigues, Œdipe Africain, L'harmattan, 1984².
M.-C. & E. Ortigues, "Les découvertes d'Œdipe africain dans le contexte culturel des années 1950", Le Coq-héron, 2004-1, n°176, p.43-58.
J. Rabain, L'Enfant du lignage. Du sevrage à la classe d'âge, Payot,1994².
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A/ Introduction générale: qu'est-ce qu'un titre pareil fait dans un exposé philosophique?

La démarche comparatiste, et l'irréductibilité empirique du problème
Philosophie des sciences sociales vs anthropologie philosophique

B/ L'enfant nit ku bon dans le monde wolof

1. Ce qui ne va pas avec cet enfant-là: la "symptomatologie" du nit ku bon
Deux remarques sur le "malaise dans la culture" chez les Wolof:
  • Un enfant "mauvais" du point de vue du lignage.
  • Une idée du mal et du malheur du registre "persécutif"
2. on devient une personne chez les Wolof:
  • Le don et la dette
  • Une autre économie pulsionnelle
  • Le nit ku bon comme manière d'être "anormale" chez les Wolof
3. Qu'est-ce que soigner un nit ku bon?
  • Formaliser la faute dans le cadre de la coutume
  • Produire une séparation
  • "Fixer le mal" comme une ressource pour une innovation individuelle réglée
  • Valider l'efficacité des symboles collectifs pour autoriser des destins personnels (réarticuler interdits et droits)

samedi 2 février 2019

6. L'architectonique de Making It Explicit

Lecture préparatoire

"Avant-propos de l'auteur", in Rendre explicite 1, trad. I. Thomas-Fogiel et alii, Cerf, 2010, p.31-53; "Preface", Making It Explicit, Harvard University Press, 1994, p.xi-xxv.
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(Enregistrement de la séance)

A/ Architectonique et systématicité de la pensée de Brandom

Clarifications sur l'architectonique. Différence entre Making It Explicit et Articulating Reason.
D'une systématicité kantienne (un schème au service d'une Idée) à une systématicité hégélienne (réflexive, autoréférentielle)
Se retrouver "chez soi" dans le langage et la pensée: platitude du commencement et de la fin, grandeur du cheminement
Les deux parties du livre: du langage à l'esprit (par l'explication de la "pratique discursive"), puis de la proposition au concept (avec la reconstruction de l'acte de "représenter")

B/ Les chapitres 1 et  2 comme autoposition de Brandom à la pointe d'une double trajectoire historico-conceptuelle: Kant, Frege et Wittgenstein (la normativité), puis Frege, Sellars, Dummett (l'inférentialisme)

La stratégie de Brandom pour contourner l'opposition intentionnalisme / naturalisme.
"Habilitation"et "engagement". Statuts et attributs normatifs.
Articulation d'une pragmatique normative à une sémantique inférentialiste.
Les deux faces du logos humain: langage et raison.

C/ Le cœur spéculatif de Making It Explicit: les chapitres 3 et 4 sur la perception et l'action du point de vue du langage

L'analyse en termes de "marquage au score" déontique: le jeu qu'on joue est bien un jeu de langage; l'assertion comme jeu de langage autosuffisant.
Comment ce point de vue permet de court-circuiter la question psychologique, individualiste et expérientielle de la croyance et de l'intention d'agir.
Brandom lecteur de Sellars: les perceptions comme "entrée" dans l'espace des raisons", et les actions comme "sortie".
La notion de "fiabilité" pour la philosophie de la perception, et le renouveau du "syllogisme pratique" en philosophie morale.
Sous-entendus critiques contre la philosophie cognitive standard (la théorie causale de la référence), et la théorie du choix rationnel (croyances, préférences, actions).

D/ La transition du chapitre 5 entre les deux parties: le problème de la vérité et de la référence

Une stratégie pragmatique par une description de la manière dont on fait usage des expressions "vrai" et "réfère", d'où est dérivé le sens de ces expressions.
Un outil technique particulier pour réaliser ce programme: l'idée de "pro-phrases" qui fonctionnent comme des pronoms. "Cela est vrai" comme pro-phrase avec une reprise "anaphorique". Mais ce qui est transporté de l’antécédent phrastique dans la pro-phrase, ce sont des engagements normatifs, pas des significations toutes faites.
Une théorie déflationniste de la vérité, au lieu de la trivialisation pragmatique habituelle (James).

E/ Le labyrinthe logico-philosophique de Making It Explicit: la "déduction transcendantale" de l’existence des objets (et des prédicats) via la généralisation de la méthode par "substitution" et "anaphore" aux composants subphrastiques: les chapitres 6 et 7.

Ce dont Brandom est le plus fier, et qu'il considère comme un achèvement de nature métaphysique.
Quatre caractéristiques de la méthode:
  • une sémantique des rôles conceptuels qui n'a de sens que dans les échanges de propositions au sein de la vie sociale
  • le conceptuel n'est pas de nature représentationnelle, mais inférentielle
  • le caractère compositionnel des énoncés logiques est reconstruit en termes de "contribution indirecte" des éléments subphrastiques à l'articulation inférentielle propre à l'énoncé complet
  • le modèle est assez expressif pour rendre compte de notre pouvoir de saisir conceptuellement des objets singuliers et les utiliser dans nos inférences.
Clin d’œil à Hegel: la déduction des formes syllogistiques dans la Science de la logique, et la saisie conceptuelle du "ceci sensible" dans la Phénoménologie de l'esprit

F/ Le chapitre 8: la sortie du labyrinthe, et la double solution pragmatiste au problème du caractère référentiel de la représentation et du caractère intentionnel de l'action.

Réussir à expliquer la référence et la représentation en termes normatifs et inférentiels, c'est parvenir à expliquer pourquoi et comment nous avons accès, dans nos pratiques inférentielles et normatives (donc intersubjectives et sociales), à une vérité cependant objective: comment sont obtenus et évalués "l'effet d'adéquation à la chose" d'une croyance vraie et le "succès réel" d'une action intentionnelle.
L'importance cruciale des propositions de re et de l'habilitation socialement sanctionnée à s'y engager comme pierre de touche pragmatique de l'objectivité des représentations.
On parvient à une explicitation complète, quand peut dire, au moyen du vocabulaire logique, ce que nous faisons en pratique quand nous conférons des contenus conceptuels objectifs à nos expressions.
"La logique est l'organe de l'autoconscience sémantique" (RE 46)

G/ La conclusion autovalidante de la méthode expressiviste de Brandom: l'invention d'un idiome philosophique où "tout peut être dit". Le "modèle" du langage et de la logique ainsi reconstruit est, circulairement, exactement celui requis pour écrire Making It Explicit.

L'autoréférence et la complétude expressive du projet, et la référence à Hegel.
Pourquoi chacun, équipé du "modèle" (i.e. du système) de Brandom, peut désormais dire "nous", en tant que membre individuel de la communauté des êtres de langage et de raison.

mardi 22 janvier 2019

5. La psychanalyse d'enfant comme objet d'une enquête philosophique pragmatiste

Lectures préparatoires

Abram J. & R.D. Hinshelwood, The Clinical Paradigms of Melanie Klein and Donald Winnicott, Routledge, 2018.
Steiner R. & King P., Les Controverses Anna Freud-Melanie Klein : 1941-1945, trad. franç. Presses Universitaires de France, 1996.
Kahn L., Cures d'enfance, Gallimard, 2004.
Geismann C. & Geismann P.,  Histoire de la psychanalyse de l'enfant, Bayard, 2004.
A/ La psychanalyse des enfants : la conception dominante.

1. Une vision médico-psycho-pédagogique inscrite dans les institutions de soin pour les enfants depuis les commencements de la psychanalyse d'enfants. Entre psychiatrie infanto-juvénile, prise en charge des jeunes délinquants et remédiation scolaire.
Un problème pendant: pourquoi cette institutionnalisation, pourquoi chez nous? Poser la question en termes généraux et "anthropologiques" (à la Mauss).

2. La psychanalyse d'enfants et ses adversaires.
  • Le balancement entre l'idéologie morale de l'enfance innocente, et la criminologie de l'enfant "pervers constitutionnel". Le problème social de la fixation du "mal" chez les enfants.
  • La faiblesse des preuves qui articuleraient intrinsèquement les observations sur les enfants à la théorie psychanalytique. Le cas de Bowlby: de la psychanalyse à la psychologie du développement.
  • La contestation du paradigme relationnel radicalisé, la culpabilisation des parents, et la localisation interindividuelle des troubles du développement.
Comment construire cette controverse? Épistémologie, histoire critique des sciences, sociologie de la connaissance. Un point de vue éliassien: la "civilisation" des enfants.

3. L'enfant freudien avant la psychanalyse des enfants.

Avant les années 1890, la psychiatrie de l'enfant n'existe pas. Le problème, ce sont les "idiots".
Le triangle: sexologie de l'enfant ("pervers polymorphe") / théorie darwinienne du développement / schéma œdipien d'individuation-sexuation.
La sexualité infantile en miroir de l'infantilisme de la sexualité adulte. La reconstruction freudienne des symptômes névrotiques à partir des idées de régression, de fixation, et de traumatismes précoces. La névrose "de transfert" comme répétition de l'infantile.
"Le petit Hans", non comme cure de la phobie, mais comme contre-épreuve de la doctrine de l’œdipe.

L'autonomisation de l'individu comme séparation à partir d'une dépendance.

4. L'histoire standard de la psychanalyse des enfants

Trois grands noms : Anna Freud, Melanie Klein, Donald Winnicott.

Malgré la récurrence du schéma médico-psycho-pédagogique, le développement de la psychanalyse d'enfants n'est pas cumulatif. Aucune clinique empirique ne peut trancher les controverses internes entre visions codépendantes de l'enfance et de la psychanalyse. Un paramètre négligé: l'inventivité institutionnelle en psychanalyse des enfants.

Les questions-clés de cette controverse interne à la psychanalyse d'enfants:
  • L'extension de la psychanalyse d'adultes aux enfants comme problème technique. L'enfant n'a pas conscience d'être malade et ne demande pas à être soigné; l'asymétrie sociale avec l'adulte thérapeute est insurmontable; on ne peut se proposer que des objectifs éducatifs et adaptatifs. Mais alors que signifie "interpréter" les conflits archaïques pré-œdipiens?
  • Si le transfert est répétition de l'infantile, de quel transfert les enfants sont-ils capables?
  • L'enfant "sans mots" et ses expressions de mal-être: le jeu, le dessin, etc., comme équivalents des associations libres des adultes, et voués à un déchiffrage, ou comme communication immédiate?
  • Un renversement latent: la psychanalyse d'adulte comme extension de la psychanalyse d'enfant.
  • Le problème de la préfiguration de la personne (de l'individu autonome censé advenir) dans l'enfant: y a-t-il un noyau d'identité (ego) séparée à l'origine, et radicalement en conflit avec le dehors? Ou bien le soi (self) de l'enfant ne peut-il émerger que d'une relation favorable à ceux qui prennent soin de lui?
B/ La psychanalyse des enfants comme objet d'une enquête pragmatiste d'anthropologie philosophique

1. Ce que cela exclut.
  • Une épistémologie de la psychanalyse qui la traite comme un corpus théorique obéissant ou non à des normes de scientificité préétablies. A contrario, l'idée d'enquête selon Dewey.
  • La sociologie courante de la psychanalyse, comme sous-domaine spécialisé de la sociologie des professions, ou des croyances, ou de la santé mentale.
2. Ce que cela implique.
  • Une approche anthropologique-comparative des réponses aux crises de la "socialisation primaire" des enfants. La fixation du mal-être, enjeu, dans toute société humaine, du traitement de l'infortune, du malheur, du mal en général.
  • Les concepts mobilisés pour la comparaison ne sont pas simplement des concepts structuraux communs; ils doivent exprimer-expliciter dans leur logique (leurs inférences) et leurs catégories ce qui restait implicite dans les pratiques rituelles thérapeutiques.
  • La pierre de touche de l'entreprise est de reconstituer l"idéologie" psychanalytique comme un système de croyances élaborées sur la base de pratiques concrètes, mais en récupérant aussi ses tensions et controverses caractéristiques.
  • Partir des jeux et des dessins comme dispositifs socialisants. Le privilège reconnu à Winnicott.
  • Les concepts psychanalytiques ainsi reconstruits sur des bases pragmatistes ne sont opératoires que si l'on s'y reconnaît réflexivementLe chamane et le psychanalyste confrontés à une objectivation anthropologique de leurs pratiques, et la question de leur "foi" dans ce qu'ils font.

lundi 7 janvier 2019

Faire "renaître" la philosophie du droit de Hegel avec Brandom

Exposé au séminaire "Lus et relus: exercices de réflexion inter-temporelle", organisé par Paolo Napoli, avec Emanuele Conte, Otto Pfersmann et Michele Spano, le 9 janvier 2019.

Les Principes de la philosophie du droit de Hegel, séance avec Julia Christ

(cette séance est ouverte à tous)

samedi 5 janvier 2019

4. De l'inférentialisme à la Brandom à l'expressivisme "généralisé": une méthode d'enquête?

Lecture préparatoire

Huw Price, "Expressivism for two voices", in J. Knowles & H. Rydenfelt (éds.), Pragmatism, Science and Naturalism, Peter Lang, Zürich, 2011, p.87-113. Résumé efficace des développements plus étendus d'Expressivism, Pragmatism and Representationalism, Cambridge University Press, 2013 (mais avec des réponses détaillées de Robert Brandom et Simon Blackburn).

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A/ L'expression dans son développement historico-métaphysique selon Brandom, la refonte du problème de l'intentionnalité, et la connexion avec l'inférentialisme.

1. Le triangle cartésien: Dieu, cogito, monde. L'expressio chez Leibniz et Spinoza, Kant et la nécessité des règles, Hegel, omnis determinatio est negatio, holisme et "expressivisme rationaliste" du Concept (Begriff), inférence logique et inférence matérielle chez Frege (implication et négation dans la Begriffschrift, et non sens vs référence; le défi, c'est d'aller de l'inférence à la référence).
L'expressivisme-inférentialisme de Brandom comme auto-explicitation immanente de la raison et le "jeu" wittgensteinien de donner et de demander des raisons.

2. La vision pragmatique (post-métaphysique, ou anthropologique) de l'expressivisme: de l'ontologie à ce que nous faisons en parlant.
  • Wittgenstein, l'idée que le sens d'un concept, c'est son usage (social?), et la transition articulée du know-how au know-that.
  • De l'expressivisme/projectivisme/émotivisme méta-éthique (Hume) à l'expressivisme modal (Blackburn), puis à l'expressivisme "généralisé" (Brandom): du "faire" au "dire" et au "penser".
  • Expliciter l'implicite, c'est enfin l'"enrichir". Réflexivité = élaboration.
  • Deux directions d'analyse à explorer ultérieurement: la refonte de la théorie de l'intentionnalité, et la déflationnisme en matière de vérité.
B/ L'expressivisme pragmatique, un schéma transposable à toute explicitation-description de l'action humaine (sociale)?

1. Penser les catégories, les concepts et les inférences (les lois) à partir des pratiques, quand on les explicite réflexivement. Généralité de ce schéma, de la conception sociologique de l'action à la sociologie de la connaissance. L'origine pratique de l'"idéologie" au sens de K. Mannheim.
De l'expressivisme "total" de Brandom en philosophie (Price) à l'expressivisme "généralisé" (comme une méthode descriptive-explicitante en sciences sociales)

2. Un programme de redescription pragmatiste pour la psychanalyse des enfants.
  • Des usages pratiques aux catégories. Réfuter l'autocompréhension épistémologique spontanée des acteurs eux-mêmes: une vision non-psychologique de la psychanalyse; l'idée de "rituel thérapeutique".
  • Mais alors, pourquoi les représentations théoriques donnent aux acteurs l'impression de guider leur action?
  • Une réponse anthropologique: la psychanalyse d'enfant comme rituel thérapeutique né dans une société individualiste.
  • En ce sens, la psychanalyse des enfants n'est pas n'importe quelle pratique (et théorie) pour l'anthropologie philosophique, mais occupe une place privilégiée dans l'"espace pragmatique".
La convergence "anthropologique" visée entre les deux séries d'études de ce séminaire. Comment sont produits socialement des individus autonomes?