samedi 30 janvier 2021

9. La Raison se découvrant réelle au sein de la réalité effective: Hegel critique de la "Naturphilosophie", ou la portée épistémologique de son idéalisme

 Lectures préalables

G.W.F. Hegel, "Certitude et vérité de la raison", section A, "La Raison observante", Phénoménologie de l'esprit, chapitre V, trad. J.-P. Lefebvre, GF, p.229-316.

G.W.F. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, trad. B. Bourgeois, Vrin, §§245-251 et §§350-375.

E. Kant, Critique de la faculté de juger, Introduction, spécialement les sections IV-IX, et l'"Analytique de la faculté de juger téléologique", §§61-68.

Références

A. Lécrivain, "Pensée spéculative et philosophie de la nature : les rapports entre la science de la logique et la philosophie de la nature chez Hegel". In Bloch, O. (Ed.), Philosophies de la nature, Éditions de la Sorbonne, p.191-204.

_________________

(Enregistrement de l'exposé

Enregistrement vidéo du séminaire)

A/ Introduction

La division du chapitre V en trois parties: problèmes généraux. Commentaire de la section A.

Comment lire "La Raison observante"? Simple commentaire critique de la Critique du jugement du point de vue d'un idéalisme objectif et non plus transcendantal? Ou bien un exemple (désastreux) de Naturphilosophie romantique ? L'approche retenue : une critique épistémologique de la philosophie romantique de la nature menée à partir d'une critique de Kant fondée sur un concept renouvelé et modal de loi (bien que Brandom n'en dise rien). 

Transition entre le chapitre IV et le chapitre V: retour au prologue du chapitre IV sur la vie.

B/ L'observation de la nature, ou "l'instinct rationnel" (moment de l'universalité abstraite)

1. L'idéalisme kantien devant le problème de l'organisme dans la Critique du jugement.

Du jugement réflexif à la supposition transcendantale d'un entendement "archétype": un double problème d'intégration et de nécessitation des lois empiriques. La "loi de spécification de la nature".

Le rapport à la finalité implique une dimension exclusivement subjective: plaisir esthétique et réflexion sur la pure forme finale d'un objet. Pourquoi la conception hégélienne de la finalité objective de la vie et des vivants rejette aussi l'analyse kantienne de la beauté. [Hegel contre le jugement de goût kantien (Esthétique I, p.62-64): un subjectivisme du sentiment étranger au processus de la culture.]

2. Un autre idéalisme que transcendantal et "unilatéral" (PhE, p.230, p. 232): la conscience de soi vivante se retrouvant dans la vie de la nature, mais comme d'abord comme l'objet de l'observation objectivante (et de l'"expérimentation" qui force l'objet à l'observabilité et à la loi, PhE, p.245).

Unité de l'aperception et pluralité des catégories: cette pluralité doit demeurer transitoire (PhE, p.235) Position critique de Hegel par rapport à la Naturphilosophie: dans sa Philosophie der Natur la nature comporte toujours un reste de contingence, de multiplicité non synthétisée. Ce en quoi elle n'est justement pas l'Idée logique, ni un signe du divin, mais ne laisse voir que des "relations intéressantes" (PhE, p.278).

3. Défense contre Kant de l'objectivité en soi de la totalité organique. Le vivant, et son "sentiment de soi", image symétrique de l'instinct rationnel. Les fausses relations explicatives physiologiques ou anatomiques: la dialectique de l'intérieur et l'extérieur, du qualitatif et du quantitatif. Le processus général du "genre", seule véritable rationalité de la vie. "La nature organique n'a pas d'histoire" (PhE, p.277).

Limite intrinsèques de la notion de "loi" dans le monde organique. A contrario, importance de la nécessité et non de la simple mathématisation des relations causales dans la notion de loi (PhE, p.243). Le réalisme modal est un rationalisme qui ne prend pas pour paradigme le déterminisme (mais les probabilités objectives-subjectives?): sauvetage pragmatiste de la Philosophie der Natur.

Remarque sur la postérité du jugement réfléchissant: le néo-kantisme et le refus du holisme chez Weber.

C/ L'approche naturalisante de la conscience de soi se retournant sur elle-même pour s'observer (moment de la particularité)

1. Sur de prétendues "lois" de la pensée: elles ne peuvent pas émerger de l'observation de la vie mentale.

2. Les "lois" psychologiques et le rapport au milieu (climat et influence sociale): le choix entre tautologie et contradiction simple, ou l'impasse du parallélisme psychologie/sociologie.

D/ La réification-représentation de la conscience de soi s'observant-s'exprimant comme chose-âme dans une chose-corps (moment de la singularité)

1. Intérieur et extérieur dans la physiognomonie de Lavater, une analyse critique préparatoire à la future théorie de l'action et du langage.

2. Intérieur et extérieur dans la phrénologie de Gall: le comble de l'ignorance de l'objectivité de soi-même dans la conscience de soi. "L'être de l'esprit est un os" (PhE, p.313): le jugement infini. Transition violente: du soi individuel qui se représente comme une chose (observable) au sujet réflexif universel qui s'effectue rationnellement comme substance (practico-éthique).

Pourquoi il faut gifler puis casser la tête à ceux qui naturalisent l'individualité (PhE 307-308).

E/ Conclusion

La signification épistémologique de la philosophie de la nature chez Hegel est de plaider pour l'hétérogénéité des niveaux et des domaines comme des disciplines scientifiques. La place irréductible de la contingence (Encyclopédie §250 et la remarque). Contre Schelling, cependant, le droit de la différenciation nécessitante. Mais c'est parce que plus l'objet est vivant, organisé et finalisé, moins les lois sont nécessaires, et donc des lois. Sauvetage possible: le réalisme modal ouvre la voie d'une intelligence probabiliste de la nature (Peirce).

En quoi réaliser cela est-il le propre de la "conscience malheureuse"?

Retour au moment-charnière du chapitre IV: quand l'autre chose que la conscience de soi rencontre, et où elle se rencontre elle-même réellement, c'est une autre conscience de soi. Mais désormais non plus abstraitement ni pour elle-même (dialectique du maître et du serviteur), mais dans l'élément rationnel et substantiel de l'être ( dans "le royaume du souci des mœurs et de la coutume", PhE, p. 317).


vendredi 29 janvier 2021

Assertion et inférence selon Brandom: origine, développement et perspectives métaphilosophiques

Exposé au séminaire "Assertion et performativité", sous la direction de Bruno Ambroise, Michel de Fornel et Philippe Büttgen du jeudi 4 février 2021.

(Enregistrement de l'exposé)

_________________

Lectures préalables

 R. Brandom, "Asserting", Noûs, 1983, 17, n°4, p. 637-650.

 R. Brandom, "Expressing and attributing beliefs", Philosophy and Phenomenological Research, 1994, 54, n°4, p.. 905-912.

J. McDowell, "Motivating inferentialism. Comments on chapter 2 of Making It Explicit", chap. 17 de The Engaged Intellect, Harvard University Press, 2013.

Pour entrer dans Making It Explicit: "La pragmatique expressive selon Brandom" et "La sémantique inférentialiste de Brandom".

______________

A/ Pourquoi Brandom?

Pour une approche métaphilosophique du projet de Brandom: sa philosophie implique en effet une prise de position sur la place de la philosophie dans le développement de la rationalité réflexive moderne (et donc des sciences sociales). Son lien substantiel avec Rorty et Habermas. A contrario, la longue polémique avec McDowell, qui reste intra-philosophique, voire scolastique.

Le cœur de cette polémique, enjeu de cet exposé: le lien entre une pragmatique normative de l'assertion et l'inférentialisme épistémologiquement anti-représentationniste est-il intrinsèque ou contingent? Dit autrement: le seul "jeu de langage" (Sprachspiel) de demander et donner des raisons, si nécessaire soit-il, suffit-il pour procurer aux assertions (aux propositions) leur contenu conceptuel?

McDowell comme repoussoir. La philosophie sociale de Brandom, certes inachevée, mais suivie jusque dans la lecture de Hegel, ouvre sur une critique à vocation sociologique du représentationnisme individualiste dominant (conceptions naturalistes cognitivistes, théorie du choix rationnel et de la décision). Elle arme conceptuellement une sociologie de la connaissance qui prendrait en charge certains aspects ultimes de la rationalité moderne, notamment le développement de la logique au 20e siècle. Brandom proche de l'individualisme holiste de Weber.

B/ D'"Asserting" à Making It Explicit

1. Les 6 thèses programmatiques essentielles d'"Asserting".

  • Les assertions s'analysent en fonction des inférences qu'elles permettent de substituer salva veritate. Asserter (comme doing), c'est émettre un permis d'inférer.
  • La vérité n'est jamais qu'une notion technique auxiliaire utilisée pour "codifier" ceci que les bonnes inférences n'ont jamais de prémisses vraies et de conclusions fausses. Primat de l'inférence et de l'incompatibilité matérielles sur l'implication et la négation formelles.
  • Une fois écartée la sémantique formaliste ensembliste (i.e. représentationniste), on entre dans un espace normatif d'attitudes et de statuts épistémiques: permettre d'inférer, être engagé aux conséquences (devoir les tirer), être habilité à tenir-quelque-chose-pour, se voir reconnaître une autorité dans l'assertion de contenus conceptuels, être mis au défi de se/les justifier, etc. Pas de norme sans vie sociale de la raison.
  • Asserter, c'est faire deux choses: asserter son droit à asserter un contenu, tout en assumant ses responsabilités à l'égard de ce contenu (devoir en tirer les conséquences, etc.). La primitive explicative de Brandom, c'est l'attitude normative adoptée, et ceci est juste un approfondissement de la conception que Searle se fait de l'assertion. Mais pour éviter un cercle seulement cohérentiste, l'autorité de celui qui asserte doit aussi s'articuler à la justification des inférences.
  • Pour faire la différence entre tenir-pour-justifié et tenir-pour-vrai, il faut inclure un moment perspectif dans le travail épistémique de la communauté. Tenir-pour-vraie quelque chose (fürwahrhalten), c'est ce qui arrive quand ce que les autres assertent de leur point de vue, on est disposé à y souscrire pour soi-même.
  • L'autorité du monde ne s'étend pas au-delà de ce sur quoi la communauté (en ce dernier sens: à la fois du commun et du perspectif) s'accorde pour la reconnaître: le monde est constitué de "faits", pas de "choses".

2. Leur explicitation dans Making It Explicit: pourquoi elle produit in fine une forme d'autojustification (de complétude expressive)

Réaliser le programme d'"Asserting" implique une sorte de déduction transcendantale (une autocritique réflexive immanente) des pouvoirs du langage ordinaire. Il faut lui faire dire (exprimer), en langage ordinaire, ce qui fait du langage ordinaire lui-même le médium de la vie rationnelle = sociale, en montrant l'articulation différentielle systématique de chacune des locutions-clés qui nous permettent de penser objectivement (i.e. du vocabulaire intentionnel). Making It Explicit est l'équivalent pragmatiste-analytique de la Phénoménologie de l'esprit: le livre déduit son propre idiome spéculatif.

Le rejet de la logique mathématique et donc de la sémantique tarskienne-davidsonnienne, pour "expliquer" la rationalité discursive. On peut utiliser des techniques de "codage" logico-mathématique, mais le contenu conceptuel relève de l'assertion-inférence. L'anti-formalisme/anti-cohérentisme des  implications logiques repose sur un regressus ad infinitum: "Le lièvre et la tortue" de Lewis Carroll.

Le primat des attitudes (tenir-pour, attribuer, etc.) sur les statuts (être engagé à, jouir d'une autorité, etc.) est un déplacement explicite de Rousseau-Kant vers Kant-Frege, donc du politique vers le sémantico-épistémique. Une dénaturalisation de la réflexivité (on est d'abord rationnel, et ensuite logique, pour exprimer réflexivement en quoi on est rationnel).

Le cœur technique de l'ouvrage consiste à démontrer que pour jouer le jeu de demander et donner des raisons, il ne faut que certaines attitudes et certains statuts, et que la description de leurs fonctions pragmatiques suffit à fournir les règles d'usage des opérations et des locutions discursives décisives pour le langage intentionnel, la pensée et l'action objectives. L'outil-clé: l'élucidation de la grammaire de l'intersubstituabilité des expressions (phrases ou termes sub-phrastiques), laquelle substituabilité préserve leur valeur inférentielle (dans la substitutions des assertions), ou leur fonction pour l'inférence (dans la substitution de sous-parties de l'assertion). Non plus la décitation, mais l'anaphore.

Au total, représentation et intention ne sont plus que des termes à valeur sémantique, et non plus des formats épistémiques-cognitifs, ni des facteurs causaux de l'agir. Brandom face à Rorty et Davidson.

C/ Perspectives hégéliennes: A Spirit of Trust

1. Contre le kantisme effarouché de McDowell. Le problème de l'objectivité "en soi", en tant qu'elle n'est justement pas l'objectivité "pour moi", question centrale de l'idéalisme post-kantien, mais aussi de tout pragmatisme. En quoi la pratique sociale de l'assertion permet d'y répondre.

Le choix d'une version faible du concept hégélien d'expérience (Erfahrung), en termes d'essais et erreurs. Connexion avec l'épistémologie de Dewey. Les deux problèmes qui se posent alors:

  • Comment ajuster la dépendance des statuts par rapport aux attitudes (qui les reconnaissent et qui les instituent), et l'indépendance relative de l'autorité épistémique des faits (donc l'objectivité) à l'égard de ces mêmes attitudes?
  • Si le vrai ne peut pas être ce qui m'apparaît juste être vrai, en revanche, si elle ne me semble pas d'abord être vraie, il n'y a pas de sens à vérifier une assertion.

2. Le réalisme modal, dernier mot de la conception brandomienne de l'assertion-inférence.

Idéalisme transcendantal et réalisme empirique, idéalisme objectif et réalisme modal. L'importance décisive de la modalité nécessaire des lois (Sellars: tout concept est comme "gros" d'une loi).

Les modalités déontiques (selon la nécessité de la règle conceptuelle), et leur vis-à-vis, les modalités aléthiques (le compatible et l'incompatible, le matériellement dérivable). Une analogie avec l'identité du sujet et la substance chez Hegel.

3. Le processus infini et asymptotique de la véri-fication sociale du contenu conceptuel de l'assertion-inférence.

Le processus de la confrontation des perspectives est équivalent à la "lutte pour la reconnaissance" en vue de l'autorité épistémique; il a lieu dans le temps historique. Brandom et l'histoire conceptuelle "whiggish": épistémologiquement, c'est un pauvre minimum, mais sémantiquement, c'est un paradigme indépassable.

Retournement final: de la normativité intrinsèque de l'assertion-inférence, jeu de langage absolument privilégié de la philosophie, à une norme philosophique pour toute rationalité réflexive en général, du point de vue pragmatiste. Confiance et magnanimité.

Contre le kantisme crispé de Habermas dans la Théorie de l'agir communicationnel. Brandom apporte de quoi surmonter autrement la critique du processus de rationalisation-bureaucratisation de la réflexivité moderne. Sa sémantique donne à concevoir une finalisation plus large du mouvement de la rationalité moderne (soit de ce qui s'opacifie et s'aliène ensuite comme rationalisation).

dimanche 24 janvier 2021

8. Pourquoi la vérité de la certitude de soi-même serait-elle la Raison des Modernes? La signification épistémique de la dialectique du maître et du serviteur

Lectures préalables

G.W.F. Hegel, "La vérité de la certitude de soi-même", Phénoménologie de l'esprit,  chapitre IV, trad. J.-P. Lefebvre, GF, p.187-227.

R.B. Brandom, A Spirit of Trust, chap. 8, "The structure of desire and recognition. Self-consciousness and self-constitution", p.235-261.

Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, IX, "Pyrrhon".

Epictète, Manuel.

Goethe, "La Nature", fragment de 1783, avec le commentaire à von Müller de 1828.

Luther, "Jugement sur les vœux monastiques", trad. franç. in Œuvres I, La Pléiade, Gallimard, 1999.

Références

R.B. Brandom, La Raison en philosophie. Donner vie aux idées, chap. 2, "Autonomie, communauté et liberté", trad. franç., Ithaque, 2021, p.61-88.*

Pour compléter l'exposé, sur la "pensée musicale qui ne parvient pas au concept" (PhE p219.) le Lied "Le Roi des aulnes" de Schubert, sur le poème de Goethe, et un hymne polyphonique, "Ad cenam agni providi", par les moines de l'abbaye de Fontgombault.

__________________

(Enregistrement de l'exposé)

A/ Introduction

Un texte performatif: non pas décrire la conscience de soi, mais nous faire prendre conscience de nous-mêmes comme consciences de soi (donc comme Modernes). Retrouver le sens de ce qui nous a formés (Bildung): les figures historiques concrètes s'invitent dans l'exposé spéculatif.

La postérité de la dialectique du maître et du serviteur chez Marx et Nietzsche. L'inclure plutôt dans le développement général de l'argument de la Phénoménologie. L'approche de Brandom.

En quoi ce chapitre est-il une charnière indispensable vers le chapitre Raison? L'unité kantienne de l'aperception est un Je qui doit être un Nous (l'Esprit), ou se transcender comme conscience individuelle singulière pour pouvoir ensuite se reconnaître soi-même dans l'être en soi (la Nature-univers) comme Raison effective (PhE, p.235-236)

B/ Prologue du chapitre IV: conscience de soi et conscience, désir et Nature vivante (genre), les prémisses naturelles de la reconnaissance (Anerkennung)

1. Le point de départ: "Je est à la fois le contenu de la relation et l'acte de la relation (PhE p.188). D'où une nouvelle opposition entre conscience et conscience de soi: Hegel nomme désir que cette opposition "doit" se résoudre.

2. En face (mais surgissant d'abord dans le dos de la conscience de soi), un nouvel objet apparaît alors: la vie. L'objet du désir de la conscience de soi est un vivant "autonome". La Nature vivante chez Goethe, et le genre (l'espèce-dieu) chez Aristote.

3. De la conscience de soi à la conscience de soi vivante: comment Brandom supplée les ellipses de Hegel. L'animal "tient pour bon" ce qu'il consomme (attitude orectique). L'objet du désir qui ne se consomme pas, c'est une autre conscience de soi. Dialectique de l'amour (attitude érotique).

C/ Domination et servitude: pas l'amour, la lutte à mort

1. Pourquoi pas l'amour: la pure conscience de soi s'extrait de la vie naturelle. Du tenir pour bon au tenir pour vrai et juste: naissance de l'autorité subjective comme maîtrise qui se croit absolue.

2. Quand une conscience de soi vivante n'est reconnue et ne reconnaît qu'une autre conscience de soi vivante. Du jeu des forces dans la conscience à la lutte à mort. Maître et serviteur, stabilisation bancale de cette dialectique.

3. Ce qui a retenu Marx: jouissance vs travail. Du serviteur, maître du maître au maître au service du serviteur.

D/ Deux risques de régression de la conscience moderne "malheureuse": le stoïcisme et le scepticisme

1. La lecture exclusivement morale et politique de cette dialectique est un contresens. La liberté normative "positive" (Kant et Brandom) comme enjeu à la fois moral et épistémique. La conscience malheureuse moderne, synthèse de stoïcisme et de scepticisme: il faut en partir pour comprendre l'un comme l'autre.

2. Stoïcisme puis scepticisme: deux figures de la liberté comme liberté de "se représenter" le réel. Le scepticisme est plus sérieux: il tient le réel pour rien. il est plus inconsistant, puisqu'il revient à s'abandonner à la vie. Notre conscience moderne, qui oscille entre ces extrêmes, est ainsi "conscience de sa propre nullité".

Comment Brandom comprend cela: autorité formelle sur tout mais sans responsabilité effective, responsabilité infinie sans autorité émancipatrice.

E/ Le concept encore ineffectif de l'esprit: comment la conscience malheureuse se met en chemin

Comment Hegel comprend cela: stagnation de la conscience qui n'arrive pas à la synthèse des deux côtés, le pur penser réflexif et l'affirmation de sa singularité concrète.

1. Un développement très allusif: le désespoir de la modernité, c'est que jamais la conscience de soi n'aura le contenu de la conscience (la "nostalgie", le sentimentalisme romantique). Fond réactionnaire du thème de l'échec des Lumières (Jacobi).

2. Trois temps de la mise en chemin de la conscience malheureuse:

  • Le contenu en soi de la conscience comme mélancoliquement disparaissant pour la conscience de soi: la pensée "musicale qui ne parvient pas au concept" (PhE, p. 219).
  • A contrario, la "fierté du sentiment de soi" dans le désir et le travail (Luther: dein Ruf ist dein Beruf). Mais la nullité n'est pas surmontée, car le principe agissant est hors de la conscience (son habileté est un don qu'elle a reçu). Au contraire, même dans l'action de grâces, un excès de conscience de soi hypocrite se fait jour.
  • La vie monastique: lutte contre les désirs sensuels, et abandon de sa volonté propre au "conseil" spirituel du supérieur. Autodestruction finale de la conscience de soi dans la quête éperdue de son propre contenu infini.

F/ Conclusion: la soumission spirituelle à l'autorité dans la communauté monastique et l'abolition de la singularité de la conscience de soi comme condition de la Raison moderne

"Pour la conscience malheureuse, l'être en-soi est au-delà d'elle-même" (PhE p.229): en fait, au-delà des portes du couvent, dans le monde (Luther)!

Le renversement ultime: c'est précisément dans l'auto-annulation de la volonté singulière que s'esquisse la possibilité d'une volonté universelle. La conscience malheureuse ne le sait pas encore pour soi, mais elle est déjà implicitement raison (ou raison représentée, pas conceptualisée): parce que son activité singulière, en soi, est néanmoins "toute réalité" (PhE, 227).