Lectures préalables
G.W.F. Hegel, « La certitude sensible », « La perception », Phénoménologie de l'esprit, trad. J.-P. Lefebvre, GF.
R. Brandom,
« Immediacy, generality, and recollection: first lessons on the structure
of epistemic authority », « Understanding the object / property
structure in terms of negation: an introduction to Hegelian logic and
metaphysics in the perception chapter », A Spirit of Trust,
Cambridge: The Belknap Press of Harvard University Press, 2019.
Références
Sur Sellars, voir l’article de Mathias Girel dans Laugier, Sandra,
et Sabine Plaud, La philosophie analytique. Paris: Ellipses, 2011.
Brandom, Robert. From
empiricism to expressivism : Brandom reads Sellars. Cambridge,
Massachusetts: Harvard University Press, 2015.
Sellars, Wilfrid. Empiricism
and the philosophy of mind. Cambridge, Mass: Harvard University Press,
1997. (à compléter si besoin par Bandini,
Aude. Wilfrid Sellars et le mythe du donné. Philosophies. Paris : Presses Universitaires de France, 2012. https://www.cairn.info/wilfrid-sellars-et-le-mythe-du-donne--9782130592013.htm)
Sur les rapports entre Kant, Hegel et Brandom sur la sensation et
la métaphysique de l’objet : Redding, Paul. Analytic philosophy and the return
of Hegelian thought. Modern European philosophy. Cambridge, UK : Cambridge University Press, 2007.
_________________
(Enregistrement de l'exposé)
A/ Après la pompe spéculative de l’introduction, comment entre-t-on
dans la Phénoménologie de l’esprit? Comment passe-t-on de la certitude sensible
à l’Entendement c'est-à-dire du ceci sensible au Concept?
1. On n’a ici ni une théorie des facultés (Kant), ni un traité sur la
substance (Spinoza). La conscience commence son chemin. Mais ce chemin de la
conscience, c’est donc à la fois tout ce que la conscience appréhende comme
insuffisant. Mais c’est en même temps la forme réflexive de cette conscience
qui change. (Omnis) determinatio est negatio (duplex).
•
Dès lors, pour nous, le
ceci sensible immédiat est certes un premier degré d’expérience de la
conscience, mais c’est aussi un mouvement de l’absolu auquel est confronté la
conscience comme incarnation la plus directe. Autrement dit ce n’est pas un
véritable « point de départ », c’est plutôt le point le plus éloigné de l’absolu à rejoindre.
•
Pour la conscience, ce
qu’elle peut penser, elle peut le penser grâce à un langage "archaïque" à ce
stade. C’est ainsi qu’Hegel est un modernisateur : il ne fait pas de la
philosophie, il la constitue, il la fabrique de nouveau entièrement. Cf
« Das Meinen » idiotisme souabe, qui est en deçà de l’illusion.
Autrement dit, le « point de départ » hégélien ne suppose même pas
une distinction entre savoir et opinion. La raison s’auto-démontre dans le
raisonnement.
2. A cette fin, le nœud du problème tourne autour du rapport au
sensible. Y a-t-il une influence immédiate du sensible sur notre pensée?
•
Pour saisir le problème, il
faut repartir de l’héritage kantien et de l’intuition, de sa double fonction
pour Kant. L’intuition possède une fonction épistémique : elle renvoie à un
mode de connaissance immédiat, non médié
par des concepts empiriques. L’intuition possède également une fonction logique
: elle renvoie à la contrainte qu’exerce le mode d’intuition sur ce que l’on
peut connaître (on ne peut connaître que des objets spatio-temporels). Hegel
vise justement un tel double rôle impossible qui fait que la structure
catégoriale de la réalité est saisie, de façon innée, avant l’application de
tout concept empirique.
•
Peut-on se donner d’abord des
représentations non-conceptuelles pour rendre compte, dans un deuxième temps,
des concepts? Peut-il y avoir une synthèse pré-conceptuelle de la matière
sensible qui permette de penser l’expérience du sujet connaissant? Pour Hegel,
ce n’est pas possible : vérité et certitude sont immédiatement égales. Il n’y a
d’abord rien qui serait en excès par rapport à la certitude sensible et qui
pourrait constituer ainsi la norme de la vérité.
B/ Les thèses fondamentales de Hegel dans les deux chapitres. On
voit ainsi une première ébauche du mouvement syllogistique hégélien. Les trois
moments du concept sont l’universalité, la particularité et la singularité.
L’universel d’abord n’est lui-même qu’en étant son autre : il devient universel
séparé c'est-à-dire particulier. Le particulier comme déterminé n’est lui-même,
à son tour, que s’il nie sa particularité. C’est le redoublement de la négation
qui forme la singularité.
1. « Certitude sensible »
•
A la richesse prétendue de
cette conscience indistincte (« le point de vue intime »), se trouve
opposé l’articulation langagière qui place le ceci sensible dans l’universel de
la médiation. Le cœur dialectique de cette expérience est donc que ce qui est
tenu pour l’immédiat et le plus riche (l’être) s’avère être son opposé
(l’universel le plus abstrait).
Lecture §3 : « Toutefois, si nous y regardons de plus près …
et un ceci comme objet » p.130 (trad. Lefebvre)
•
La conscience émerge de
l’unité indistincte avec l’objet (le concept la plus pauvre
« l’être ») : la conscience doit déterminer l’essence de son savoir,
au-delà du savoir (la certitude) qu’elle pense d’abord recevoir immédiatement.
Lecture §18 : « Mais ce premier moment réfléchi en lui-même
n’est plus exactement le même … Maintenant est quelque chose d’universel »
p.137
•
L’émergence de la conscience
qui doit déterminer l’essence de son savoir, est donc constamment renvoyée à
son opposition à l’objet. Comme il n’y a pas de pénétration de l’universel et
du singulier, plusieurs moments s’ensuivent :
-
Le premier où l’objet est posé
comme essentiel
-
Le deuxième où la conscience
est posée comme essentiel
-
Enfin la certitude sensible
est posée dans son unité concrète (non plus unité immédiate, mais concrète),
par opposition à l’ineffable
2. « Perception
•
Comment la conscience peut-elle
appréhender un non-moi? Comment différentes propriétés, peuvent-elles subsister
en un même lieu? Comment la chose unique peut-elle être un ensemble de
propriétés indépendantes? Ce qui rend discernable la chose comme telle, c’est
aussi ce qui la pose en relation avec d’autres choses. Le sensible devient donc
déterminé comme universel, par la chose.
•
La Chose se présente sous un
double visage : elle est à la fois ce qui est universel (un milieu où se
tiennent ensemble de multiples propriétés) mais aussi ce qui est singulier
(pour que ces multiples propriétés soient de véritables propriétés, il faut
qu’elles soient des propriétés de cette chose précisément, et non d’autres choses). Toute
l’expérience de la Chose repose donc sur cette opposition : si les propriétés
se pénètrent, leur indépendance disparaît, les propriétés perdent donc leurs
déterminations. Si les propriétés sont juxtaposées, leur indépendance est
sauve, mais c’est la Chose unique qui est perdue.
Lecture §8 : « La conscience parcourt donc de nouveau nécessairement ce circuit … elle conservera donc l’objet vrai dans sa pureté » (p.146-147)
•
Face à cette opposition, la
conscience retrouve son double mouvement : soit l’objet de la perception est
identique à soi et la multiplicité est ajoutée fallacieusement par la
conscience, soit la chose est véritablement diverse et c’est la conscience qui
ajoute fallacieusement l’unité. Le double mouvement de la conscience implique
donc une nouvelle perception de la chose : l’opposition selon le contenu (être
Un, être multiple (Aussi)) se transforme en opposition selon la forme (être
pour-soi et être pour un autre). Si la conscience ne parvient pas encore à les
penser ensemble, ils appartiennent tous les deux à une même essence. La
conscience devient entendement car c’est la norme d’objectivité qui a changé.
Lecture §19 : « Par là même, l’objet est tout aussi aboli dans
ses déterminités pures … entre véritablement dans le royaume de
l’entendement » (p.152-153)
C/ Conclusion: De Hegel à Brandom par Sellars
1. Pour répondre à la question de savoir comment on peut avoir un
concept, Hegel refuse de partir d’une immédiateté (« un savoir
immédiat », « une représentation pré-conceptuelle ») sensée
garantir la connaissance, la fonder. Le concept n’est plus ordonné à la perception,
mais à ce que la conscience fait. C’est la revendication d’une raison
proprement moderne.
•
Brandom, à travers
l’opposition entre les attitudes et les statuts, cherche jusque dans la langue
de Hegel, cette raison moderne. (Cf lecture p.154 : « nimmt Sie für das
Wahre »). Percevoir est ainsi un tenir-pour-vrai. Il relève donc du primat
des attitudes sur les statuts : Hegel justement reconstitue la manière par
laquelle l’objectivité, malgré le primat des attitudes sur les statuts,
s’institue en fait dans le dos de la conscience.
2. Brandom dans sa lecture, fait le pari que l’héritage de Sellars lui
permet de distinguer ce qui est vivant de ce qui est mort. (Cf Empiricism
and the Philosophy of Mind)
•
La critique sellarsienne du
mythe du donné fonctionne justement comme ce qui nous permet de défendre la
raison moderne. Le mythe du donné, c’est l’idée selon laquelle il existe
certains épisodes (certains « donnés » dont il existe plusieurs
formes) qui ont deux caractéristiques : ces épisodes sont indépendants par
rapport à l’ensemble du cadre conceptuel, et ces épisodes ont une efficacité
épistémique. Toute l’erreur est donc de présenter conjointement ces deux
caractéristiques : il est contradictoire de penser qu’une immédiateté sensible
puisse être indépendante par rapport à toutes les autres connaissances, et
qu’elle puisse fonder l’autorité épistémique d’autres états.
•
C’est le pas que franchit
Sellars repris par Brandom de la critique des théories fondationnalistes
pré-modernes de la connaissance, vers une théorie moderne et normative de la
connaissance où l’objectivité se pense comme auto-rectification.
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