Pour introduire cette
journée sur un thème assurément un peu mystérieux,
l’expressivisme, je commencerai par attirer votre attention sur
ceci que l’appareil conceptuel que déploie Cyril Lemieux dans Le
Devoir et la grâce, et tout particulièrement les pages qu’il
a suggéré d’y relire pour cette journée, relève d’une
réflexion disons « métasociologique ». Il ne cesse à
chaque page de mobiliser des concepts d’origine philosophique (mais
dont l’usage est censé être empirico-scientifique au sein
d’enquêtes), comme celui de raisons d’agir, de règles, de
grammaire, de disposition, d’intentionnalité, de normes, etc. Or,
tous ces concepts se retrouvent au cœur de la philosophie de
l’esprit contemporaine, et dont l’expressivisme de Brandom offre
une synthèse et (à mon avis) un dépassement spectaculaires.
C’est pourquoi, dans le
sillage du séminaire de Master que j’ai fait cette année, je vais
essayer de vous faire sentir l’intérêt de cette œuvre
philosophique absolument gigantesque, mais encore en mouvement, et
qui est probablement loin d’avoir dit son dernier mot.
Dans ce document, qui est
avant tout un document de travail, je ne peux toutefois que clarifier
les intuitions qui me conduisent à mettre en avant l’idée
d’expressivisme comme un « pont » entre sciences
sociales et philosophie. Car la remarquable synthèse et le
renouvellement problématique caractéristiques de la philosophie de
Brandom reposent sur ce thème de l’expression et de
l’expressivisme – qui s’avère offrir une alternative
positive et systématique aux représentations dominantes
aujourd’hui en philosophie de l’esprit (et donc du langage et de
la logique), qui sont d’inspiration naturalistes, cognitivistes (et
donc « représentationnistes », j’expliquerai plus loin
pourquoi), marquées par l’individualisme méthodologique, et, en
philosophie de l’action, par la prégnance des théories de la
décision et du choix rationnel. Bref, pour ce qui concerne
l’épistémologie elle aussi dominante aujourd’hui des sciences
sociales, vous reconnaissez là la prétention d’un modèle
économique et psychologique à fournir la rationalité de référence
pour la description objective des faits (sociaux comme naturels).
Si je parle d’alternative
positive et systématique, chez Brandom, c’est qu’il ne se
contente pas de mobiliser Wittgenstein ou Dewey pour juste critiquer
les défauts des conceptions naturalistes-cognitivistes de
l’intentionnalité, de l’esprit, du social, de la signification,
etc. De telles critiques, d’ordre négatif, on en trouve déjà par
exemple chez Descombes. Chez Brandom, il s’agit de prendre à
bras-le-corps une reconstruction exhaustive de la doctrine de la
raison (et donc de la logique, en particulier la sémantique
logique, autrement dit la théorie de la vérité et de la
référence), mais aussi de la raison pratique, dont le projet
naturaliste-cognitiviste d’aujourd’hui prétend incarner la
figure la plus plausible à partir d’une certaine analyse du
langage, de l’action et de l’esprit (moyennant, souvent, une
théorie extrêmement riche de la sélection naturelle et de
l’évolution, et dans une indifférence quasi-absolue à l’histoire
et à la société et, en tout cas, avec un refus radical de toute
forme de holisme). En d’autres termes, Brandom entreprend de
montrer en détail qu’on peut parfaitement disposer de toutes les
ressources de la rationalité moderne (y compris de sa logique et de
sa sémantique) sans se servir d’aucune primitive du genre
« représentation » (état cognitif, croyance, etc.),
« condition de vérité », « loi logique »,
etc. ; il ne serait pas plus nécessaire d’avoir recours à
des théories de la « causalité mentale » ni à des
théories fonctionnelles-causales de l’esprit pour expliquer (voire
pour calculer) l’action humaine. Brandom a même fabriqué des
algorithmes pour montrer comment récupérer ces notions au terme
d’un processus d’engendrement de plus en plus sophistiqué dont
le premier terme notre pratique de l’assertion (du jugement)
et de l’inférence. Cette pratique intrinsèquement sociale
est chez lui l’objet d’une « pragmatique normative »
dont je ne pourrai mettre en valeur que quelques aspects.
Non sans appréhension
(car je suis loin de maîtriser Brandom !), je viens donc
suggérer devant vous que l’appareil théorique qui sous-tend la
sociologie pragmatiste, dans la mesure où cette dernière se
réapproprie à ses fins un certain nombre d’analyses de la
philosophie de l’esprit pragmatiste, ou encore post-Wittgenstein,
pourrait éventuellement bénéficier de la synthèse expressiviste
de Brandom. Cela ouvrirait au sein de notre nouveau laboratoire des
possibilités d’échanges inédites, voire de collaboration sur des
points cruciaux de méthodologie et d’épistémologie, entre
philosophes, linguistes intéressés par la vie sociale du langage,
et bien sûr les sociologues.
Pour finir, je parlerai
d’un projet en cours, qui a pour ambition de tirer en termes
épistémologiques certaines conséquences de cette philosophie de
l’esprit alternative. C’est une enquête d’anthropologie
philosophique sur une pratique sociale controversée, la psychanalyse
des enfants.
Mais tout d’abord, une
clarification sur ce que signifie « expressivisme ».
Ce n’est pas un mot
inventé par Brandom, qui se livre à des exégèses minutieuses des
conceptions de l’expression déjà employées par Spinoza et
Leibniz (comme l’avait vu Deleuze) pour résoudre l’impasse
cartésienne de la relation « intentionnelle » entre la
pensée et les choses. Car si Dieu garantit que nos idées claires et
distinctes sont des idées objectivement vraies, on se demande bien
comment l’ordre et la connexion des idées a effectivement
ce rapport-là avec l’ordre et la connexion des choses... je vais y
revenir tout à l’heure.
Faisons ensuite un saut
conceptuel qui nous transporte chez Hume. On a en effet l’habitude
d’appeler « expressiviste » (par opposition à
« cognitiviste ») toute conception morale qui ne voit
dans le bien et le mal que l’expression des réactions des
gens à certaines situations, selon qu’elles leur conviennent ou
pas, et non un jugement où l’on reconnaîtrait un cas d’une
notion prédéterminée du bien ou du mal. Hume est ainsi à
l’origine du scepticisme moderne face à l’objectivité (disons
« platonicienne ») des normes morales.
L’autre expressivisme
décisif, c’est celui qui porte sur les concepts modaux : le
possible ou le nécessaire. Après tout, dans le sillage de Hume, il
n’y aurait aucune raison de leur prêter un contenu objectif, en
soi. On pourrait aussi bien en faire l’expression d’attitudes
normatives (épistémiques,
cette fois, et non plus simplement éthiques).
Il y a enfin une version
romantique de l’expressivisme comme déploiement explicitant de la
totalité, qui va de pair avec la divinisation de la nature, et qui
procède nettement d’une relecture de Spinoza chez les idéalistes
allemands. Taylor, aujourd’hui, est un de ceux qui s’efforcent de
le réactualiser, en faisant fond notamment sur une « poétique »
de l’expressivité, de l’intérieur vers l’extérieur, de l’âme
vers le corps, etc.
L’expressivisme est
plutôt, dans le sillage radicalement anti-poétique et
anti-romantique de Hegel, cela quoi se mesure le sérieux de l’agir.
Brandom a énormément influencé ce qu’on appelle la Hegel
Renaissance, non seulement en rapprochant de manière très
substantielle et très conceptuelle Hegel avec ce qu’il appelle le
« pragmatisme analytique », mais parce qu’il est un
vigoureux défenseur d’une thèse centrale de la Phénoménologie
de l’esprit selon laquelle « l’action ne fait que
traduire un être originellement implicite en un être rendu
explicite ». Il défend donc une théorie expressiviste de
l’action bien plus forte que ses esquisses wittgensteiniennes,
notamment chez Anscombe, car intrinsèquement ouverte sur l’histoire
et la vie sociale.
Chez Brandom, tous ces
motifs, sauf donc le dernier dans sa portée romantico-poétique, se
retrouvent intriqués les uns dans les autres.
Mais je pense qu’on
peut surtout caractériser l’expressivisme « généralisé »
de Brandom comme la synthèse de deux motifs connus. Le premier, dont
on trouve l’origine chez le deuxième Wittgenstein (mais aussi,
encore que cela soit plus complexe à lire, dans le premier
Heidegger), c’est que le sens d’un
concept, c’est son usage. Le second, récurrent dans la
tradition pragmatiste, c’est l’antériorité explicative du know
how sur le know that, au
principe de la notion d’enquête. L’expressivisme, c’est la
fusion des deux motifs, dans la mesure où on peut considérer qu’il
s’agit de rendre explicite
dans des expressions verbales, des concepts, des formes logiques,
etc., ce qui était implicite dans des pratiques,
et que cette explicitation, ou, pour mieux dire, cette élaboration
de l’implicite (qui prend parfois un tour algorithmique très
technique) est de nature essentiellement réflexive.
Au total, quand cette réflexivité est pleinement déployée, elle
coïncide avec le processus critique d’autonomisation,
dans une filiation qui est explicitement kantienne sur le plan
épistémique et hégélienne sur le plan social et historique.
L’expressivisme
prend alors tout son sens chez Brandom pour autant qu’il permet
d’analyser à nouveaux frais la question centrale de la philosophie
de l’esprit, celle de l’intentionnalité.
Cette
dernière se décline en intentionnalité du langage et de l’esprit
(quels rapports les mots et les croyances entretiennent-ils avec
leurs objets et les états de choses, « là-bas » dans le
monde réel ?) et en intentionnalité de l’action (comment
puis-je « viser » avec succès un but qui est une raison
de ce que je fais ?). Dans le premier cas, les notions qu’on
se propose de reconquérir sont celles de référence, de vérité et
de « représentation » objective. Car l’approche
pragmatiste consiste à ne pas se
les donner comme des primitives explicatives. Dans le second, on est
confronté au risque naturaliste de la réduction de l’explication
causale de l’action à un instrumentalisme utilitariste. Plus
profondément, Brandom veut dépsychologiser l’intentionnalité.
Dans les conceptions dominantes, un agent cognitif « se
représente » un objet, avec lequel il doit bien entretenir en
dernière instance un rapport de type causal, pour garantir au moins
à un bout de la chaîne l’« adéquation » au réel qui
rend vraie sa représentation. L’affinité de ce type de solution
avec les méthodologies individualistes de la psychologie cognitive
est patente dans la philosophie analytique d’aujourd’hui. Il en
existe d’infinies variétés sur laquelle je ne m’étends pas. Et
la théorie du choix rationnel combine des « états cognitifs »
(des croyances) avec des pro-attitudes (désir, préférence), en
sorte que le raisonnement pratique produise causalement l’action.
Là encore, il existe une foule d’options possibles, sur lesquelles
je ne m’étends pas davantage.
Parce
que, dans tous les cas de figure, rien n’exclut qu’on se trouve
en face d’un agent cognitif isolé, et qui pourrait n’avoir qu’un
seul concept ou qu’une seule représentation, « remplie »
d’un contenu qui lui est fourni par le monde extérieur, ou bien
d’un agent qui pourrait n’avoir qu’une seule intention,
c’est-à-dire une seule vectorisation à la fois causale et
fonctionnelle de son action.
D’ailleurs,
un des représentants paradigmatiques de cette philosophie, Fodor, a
littéralement défendu l’idée qu’on pourrait n’avoir qu’un
seul concept, ça n’en serait pas moins un concept.
Par
contraste, Brandom renoue avec l’idée selon laquelle on ne peut
pas avoir qu’un seul concept ou une seule représentation, d’une
part parce que nous sommes des êtres parlants (nous sommes dans le
langage, c’est notre élément, pas quelque chose qu’on acquiert
comme un outil) et, d’autre part, parce que nous jouons
dans le langage un jeu très particulier, qui est celui de nous
demander et de nous donner mutuellement des raisons (l’action
étant par excellence ce dont on demande la raison). Or une raison ne
peut jamais venir seule, pour la bonne et simple raison qu’elle est
soit la prémisse, soit la conclusion d’une inférence. Raisonner
c’est inférer1.
Maîtriser un concept, comme l’avait déjà suggéré Sellars,
c’est ainsi découvrir ce à quoi on est « tenu » avec
lui, et donc ce qu’il implique
aussi inférentiellement à titre d’engagement « collatéral »,
au point qu’on va continûment du concept vers la loi (du moins
asymptotiquement). Par exemple, maîtriser de plus en plus la notion
de feu, c’est détecter un grand nombre d’inférences matérielles
de ce en quoi consiste brûler, donc éteindre un feu, savoir ce qui
est incompatible avec son déclenchement, puis de fil en aiguille
toute la chimie des combustibles et des comburants, etc. Tout
« engagement discursif », comme dit Brandom, exige donc à
la fois assertion et capacité à ressaisir les inférences
matérielles, autrement dit à les expliciter d’assertion
en assertion (de prémisses en conclusions) sous ce qui prend peu à
peu la forme d’implications et de négations, le tout tissant la
connaissance. Voilà l’expressivisme au cœur du pragmatisme
normatif de Brandom au travail : c’est le passage idéalement
continu des inférences et des incompatibilités matérielles
rencontrées en pratique (quand
j’allume un feu) au concept de
feu et, toujours nécessairement avec lui, dans son prolongement, un
réseau dense de connaissances co-présentes (à la limite, à la
connaissance des lois
naturelles de la combustion).
Un
premier aspect choquant de cette conception, c’est qu’elle
élimine le vocabulaire psychologique de la croyance. En réalité,
l’agent cognitif qui « tient pour vrai » ceci ou cela
est normativement tenu
un tenir aussi pour
vraies les conséquences de son « engagement doxastique »,
comme préfère dire Brandom. Or quand on emploie le vocabulaire de
la croyance, surtout quand on a une théorie à la fois fonctionnelle
et causale des « états
cognitifs » de croyances, on est confronté au problème de
savoir quoi faire avec les conséquences logiques actuellement
inaperçues de ce que l’on
croit. Et cependant, n’importe quel dialogue socratique le rend
évident, si nous sommes des êtres de raison, c’est justement
parce que nous nous
confrontons mutuellement aux conséquences inaperçues de nos
croyances. Un autre aspect particulièrement scandaleux de la
conception de Brandom aux yeux de beaucoup de philosophes de la
tradition analytique, mais qui était déjà présent chez Sellars,
c’est son holisme méthodologique. On ne croit jamais une seule
chose, mais tout un ensemble de choses qui s’entretissent
inférentiellement (et c’est pourquoi la maîtrise pragmatique
d’un concept, ou le passage fondateur de l’usage au sens, tend de
façon très kantienne à faire d’un concept une règle nécessaire,
l’embryon d’une loi,
et de l’entendement « la faculté des règles »).
Ultime problème qui va avec le cadrage de la question de la raison
dans le jeu de langage social
du « (se) donner et demander des raisons (les uns aux
autres) », c’est qu’il n’y a de raison qu’à partir du
moment où en m’engageant envers un certain contenu conceptuel,
ipso facto, autrui se
trouve habilité à mettre en cause mon engagement (ou à me demander
raison de mes raisons). Une difficulté que présente le point de vue
de Brandom naît d’ailleurs de ce que son holisme méthodologique
se combine avec un perspectivisme qui fait que chacun peut défier
autrui de justifier ses engagements discursifs, le contenu conceptuel
d’une croyance ne se stabilisant à terme que dans l’épreuve du
jeu de langage fondamental de donner et demander des raisons (en
d’autres termes, de questionner les inférences).
On
peut se rendre sensible à l’impact de cette transformation (où
l’expressivisme, c’est-à-dire le mouvement de l’explicitation
de ce qui restait implicite en pratique dans des concepts, devient
intrinsèquement holistique et normatif), en le mesurant à la
critique que Brandom adresse à la théorie du choix rationnel et de
la décision. Pour Brandom, qui radicalise à cet égard des
remarques de Davidson, il est tout bonnement impossible d’expliquer
une action par une certaine articulation d’une croyance et d’une
préférence. En effet, déjà, nous ne pouvons jamais individualiser
ni « la » croyance ni « la » préférence
d’un agent sans tenir compte de l’ensemble de ses engagements
(qui sont, je le rappelle des engagements normatifs :
à quoi il est tenu, de quoi il devient responsable en jugeant
que p, devant qui, et quelle
autorité épistémique il a ou n’a pas, etc.) et des habilitations
qu’il a à s’engager envers tel contenu conceptuel (en a-t-il
hérité, de qui, habilité lui-même par quoi, etc.).
Mais
Brandom va beaucoup plus loin que Davidson.
Il
suggère en effet que le fameux syllogisme pratique, dont
l’interprétation en tant qu’inférence est notoirement épineuse,
doit être passé à la moulinette expressiviste.
Prenez
par exemple sa forme purement descriptive-analytique, chez Thomas
d’Aquin : de la volonté de traverser la mer, il naît une
nécessité dans la volonté qu’on veuille un bateau. Prenez aussi
sa forme explicitement fonctionnelle-causale (instrumentale), chez
von Wright : A a l’intention de traverser la mer, il juge
qu’il ne saurait le faire sans affréter un navire, et donc il veut
un bateau.
L’idée,
à mon avis géniale, de Brandom est que la tradition de la
philosophie pratique s’est enferrée dans la question de savoir si
ce syllogisme pratique était un syllogisme « aussi concluant »
que le syllogisme théorique, lequel obéit à des formes bien
circonscrites de validité, données à l’avance. Car dans la
version de Thomas, la conclusion n’est aucunement la causation d’un
acte, c’est juste l’explicitation de ce qui est nécessaire
(c’est modal) pour que l’intention d’agir
(la raison posée en prémisse) ait du succès. C’est concluant,
mais sans efficacité. Chez von Wright, on tire au contraire
tellement sur la corde du « donc », pour faire en sorte
que la conclusion soit une action (et pas juste un énoncé
décrivant quelle est l’action nécessaire, les prémisses étant
données) qu’on doute à bon droit qu’il s’agisse d’une
conclusion logique.
Notez que ce n’est pas non plus la peinture d’un mécanisme,
puisque « juger qu’on ne saurait faire p sans faire a »
est analytique. En somme, on restitue or bien quelque chose de
l’efficacité téléologique du raisonnement, mais il n’est pas
concluant. Et si, demande Brandom, ce que nous faisons avec les
différents types de raisonnements pratiques n’était qu’une
explicitation (formalisée) de ce qui restait implicite dans nos
inférences matérielles pratiques ?
Pour
Brandom (qui suit Heidegger et Peirce) notre vie pratique est prise
dans un système global de « renvois », qu’il appelle
les inférences matérielles, et dont j’ai donné plus haut une
formule plus théorique destinée à l’explicitation de la croyance
(ou des engagements normatifs doxastiques). Le know-that du
contenu conceptuel de « feu » procède fondamentalement
du know-how d’allumer
un feu. C’est là, dans la pratique, que je rencontre le fait que
le feu n’existe pas s’il n’y a pas quelque chose à brûler,
soit un combustible, suffisamment d’air autour, etc., et tout ceci
constitue autant d’inférences matérielles qui s’explicitent
dans mon concept du feu, concept qui ne va jamais seul, mais avec
celui de corps inflammables, voire d’oxygène, etc. Disons même
qu’un concept de feu qui serait incapable d’expliciter ces
inférences matérielles, autrement dit de les articuler en raison,
ne serait pas du tout un concept. Un perroquet peut réagir devant un
incendie en croissant « Au feu! Au feu ! », il ne
comprend pas le contenu conceptuel du feu (bien qu’il applique
correctement le label « feu » à ce qu’il perçoit),
parce qu’il n’a pas accès aux inférences matérielles minimales
de ce contenu conceptuel : que s’il y a un incendie, c’est
qu’il y a du matériel inflammable, etc.
Mais
que pour traverser la mer sain et sauf il me faille quelque chose qui
flotte dessus, autrement dit un navire (dans un monde qui se meuble
et se peuple d’entités de moins en moins naturelles et de plus en
plus sociales) et qu’il s’agisse là également d’une inférence
matérielle, mais
pratique, est une
transposition très naturelle de ce que je viens de dire sur le feu.
Le syllogisme pratique, dans sa version thomiste comme dans sa
version wrightienne, apparaît dès lors comme une explicitation sous
forme d’implication formalisée (avec sa logique,
qui n’a nullement la logique du syllogisme théorique pour
paradigme) de ce qui est implicite dans les dépendances factuelles
et les incompatibilités que rencontre l’action se faisant.
Conséquence
remarquable de cette approche, les intuitions instrumentales qui
parasitent la théorie de l’action, et qui donnent l’impression
qu’on obtiendra plus facilement une explication causale dans ce
cadre-là, perdent leur attrait, et surtout leur privilège. Avoir
une raison pour une action, agir avec une raison, agir pour une
raison, et toutes les formes de raisonnements pratiques qui expriment
ces différentes nuances, sont également dignes d’être tenu pour
des raisonnements. Ainsi, pour Brandom, on peut tout à fait agir
pour une norme (c’est tout simplement la conception kantienne de la
volonté), il n’y a là rien de suspect, rien qui doive être
« retraduit » en termes d’intérêt ou bien d’utilité
pour être « vraiment » explicatif de l’action.
L’expressivisme
de Brandom permet alors de revisiter le concept d’action
intentionnelle. L’intention n’est plus du tout une sorte
mystérieuse de « flèche » qui part de l’agent et vise
le but, une forme particulièrement spiritualisée d’effort.
L’« intention » qu’on attribue ou que je reconnais
manifeste simplement de manière explicite ce que je rends
vrai en agissant – exactement
de la même manière, que, dans la série parallèle, le « fait
objectif » auquel je fais référence explicite ce
que je tiens pour vrai dans mes engagements doxastiques.
En somme, ce n’est pas l’objectivité des faits qui explique ou
justifie le contenu vrai de mes pensées, pas plus que l’intention
que j’y ai mise qui explique ou justifie le succès de mon action.
Pour Brandom, l’une et l’autre notions n’ont de sens que dans
une perspective expressive, pour dire, et seulement pour
dire ce qui se passe quand nous
agissons et quand nous connaissons. On assiste là à une
grammaticalisation totale de
l’intentionnalité (comme de la référence).
Or,
comme cette grammaticalisation s’inscrit dans un espace des raisons
holiste, où chacun peut demander à quiconque raison de ses actions,
l’action est comprise non plus comme un événement singulier, où
un individu fait une différence causale dans l’ordre des choses
(ce qu’est encore l’action chez Davidson), mais d’abord et
avant tout comme l’expression d’un ordre normatif qui
dépasse toujours l’agent particulier,
et dont la raison est toujours sociale.
L’intentionnalité de mon action, c’est nécessairement celle que
m’attribue et que me reconnaît autrui dans le jeu de me demander
des comptes sur mes engagements et mes habilitations. Du coup, plus
de sujet individuel qui détiendrait « à l’intérieur de sa
tête » la raison ultime de son action. Brandom rejoint Hegel :
une conception expressiviste de l’action oblige à concevoir
l’intention qui en est la raison d’être à l’ombre des
jugements normatifs que posent les autres autour de moi sur ce qui
est ma raison (mon intention d’agir). Je peux croire que mon action
a une raison, alors qu’elle en a une autre bien différente, en
sorte que l’individu isolé est dépouillé de la propriété
exclusive ou « privée » du sens de son action, laquelle
s’inscrit dans un horizon normatif holiste, assez comparable, en
somme, au monde « éthique » de Hegel. En fait, quand
j’agis, je ne fais jamais qu’expliciter ce qui est implicite dans
l’univers de normes qui me confère le statut d’agent.
Autre
conséquence intéressante de cette approche, elle permet une
clarification terminologique (en première intention, parce que cela
va certainement plus loin qu’une clarification du sens des mots) de
ce que Cyril appelle « raison d’agir » dans Le
Devoir et la grâce. On peut
être en effet troublé de voir qualifiées de raisons d’agir des
« discontinuités » pratiques (qui sont parfois aussi des
continuités), de nature assez opaque, et sans qu’on dispose de
critères clairs pour identifier parmi toutes les discontinuités (ou
les continuités) lesquelles sont des pertinentes. Mais c’est qu’il
y a deux niveaux. Comme je comprends l’analyse de Cyril, avec cette
notion de discontinuité, il désigne tout simplement les inférences
matérielles pratiques qui ne sont pas des énoncés mais des gestes,
des situations, des saillances matérielles quelconques, bref, des
renvois déterminants présents de facto dans
le monde (social). Se les explicitant réflexivement,
les acteurs comme les observateurs savants des acteurs les recodent
dans le vocabulaire des « raisons » stricto
sensu, faisant des unes et les
prémisses et des autres les conclusions de leurs raisonnements
pratiques.
En
même temps, Cyril soulève un point décisif pour la description
sociologique et l’enquête qu’on ne trouve pas chez Brandom.
C’est qu’à ces raisons d’agir correspondent toujours des
« raisons en retour » de réagir. Comme Brandom se
concentre exclusivement sur le dialogue socratique, et sur les actes
d’assertion qui s’y enchaînent, il n’attache pas une
importance particulière au phénomène de la réponse en retour,
sans doute parce que lorsqu’on ne répond plus rien, c’est qu’on
fait un acte très particulier qui est de reconnaître
que l’autre qui a asserté p est jusqu’à preuve du contraire
habilité à son engagement de plastique envers p. Cette
reconnaissance est en général silencieuse. Il n’en va évidemment
pas de même quand, par exemple, autrui modifiant légèrement la
position de son fauteuil, je modifie « en retour » la
mienne, pour, par exemple, ne pas lui laisser le monopole du
vis-à-vis avec tel personne importante du salon où j’ai mes
habitudes. En somme, chez Brandom, il est avant tout question des
actes (de langage, l’assertion au premier chef). Pas des actions
corporelles, auxquelles il s’intéresse peu. C’est une difficulté
à explorer que de savoir donc si l’on peut transposer son analyse
intrinsèquement normative du dialogue socratique (du jeu de demander
et de donner des raisons) à l’articulation sociale des inférences
pratiques matérielles des différents acteurs les unes aux autres
(et quoi au juste dans cette analyse de Brandom).
On
notera d’ailleurs, idée qui n’intéressent pas centralement
Brandom puisqu’il travaille sur des situations délibérément
idéalisées, que ce schéma expressiviste, rapporté à des
situations concrètes, autorise aussi à penser des degrés d’échec,
d’opacité résiduelle, de non-transparence. L’explicitation
réflexive en termes de raison au sens pleinement logique de ce qui
est implicite dans les inférences matérielles pratiques a
certainement une valeur d’outil analytique pour conceptualiser
l’action, mais il ne suit pas de cela qu’on dispose toujours des
formes logiques capables de dire ce qu’on fait. Je reviendrai plus
loin sur ce point, qui concerne le dialogue entre Brandom et
Habermas. Toutefois, une des forces de Brandom est son affirmation
constante que notre stock de ressources logiques n’est pas épuisé,
et que toute l’histoire de la rationalité au XXe siècle montre
amplement que les inférences et les incompatibilités matérielles
mises au jour, par exemple en physique, d’un point de vue
empirique, ont au contraire conduit à l’invention de formalismes
qui soient capables de les exprimer logiquement (logique quantique,
probabiliste, etc.). Or la même chose vaut bien sûr pour les
raisonnements pratiques. Non seulement il n’y a aucune espèce de
raison de privilégier (comme les économistes et les psychologues)
les raisonnements instrumentaux de l’utilitarisme, mais il y a des
raisonnements pratiques dont nous devrons trouver les formes si nous
sommes confrontés à des situations inédites d’inférences et
d’incompatibilités matérielles pratiques. Je suis frappé à cet
égard de la convergence entre cette analyse et une affirmation
constante de Cyril selon laquelle il y a une pluralité de grammaires
irréductibles qui constituent chacune une source de raison pour la
description et potentiellement l’explication des actes humains.
Comme
je parle devant des sociologues, je dois préciser ce qui rend si
spectaculaire l’expressivisme de Brandom aux yeux d’un philosophe
(ou, au contraire, ce qui déclenche une aversion virulente contre sa
pensée !).
Déjà,
c’est qu’il applique ces prémisses (pragmatiques,
wittgensteiniennes, normatives et holistes), à quelque chose qui, à
première vue, marche très bien tout seul, et sert même de
paradigme à la raison tout au long du XXe siècle : le vaste
corpus de la logique philosophique et surtout mathématique,
dont l’origine se trouve chez Frege et Russell, et qui a connu au
tournant des années 1970-1980 la révolution « modale »,
avec Kripke et Lewis, l’inventeur de la sémantique des mondes
possibles, et qui était aussi un des maîtres de Brandom (avec
Rorty). Brandom se propose tout simplement non d’en donner une
autre généalogie intellectuelle, mais carrément d’en offrir une
reconstruction rationnelle entièrement indépendante de ses
présupposés standards ! Je suis fasciné par la puissance
spéculative que déploie à cet égard Brandom, qui a parfaitement
raison de comparer son entreprise, dans son ambition mais aussi dans
ses résultats, à celle du Kant de la Critique de la
raison pure, mais aussi à la
« déduction transcendantale » des formes logiques dans
la Science de la logique de
Hegel. Sauf que ce ne sont plus les catégories et les formes de
raisonnement de la syllogistique aristotélicienne qui sont ici
« déduites », mais les versions les plus contemporaines
et les plus subtiles de la logique après Frege. Et le résultat le
plus impressionnant de Brandom, à mon avis, c’est qu’il s’agit
bien ici d’une logique philosophique,
autrement dit des formes qui permettent de dire ce que nous faisons
en pratique quand nous nous explicitons mutuellement le contenu
conceptuel de nos assertions, et pas, comme dans la plupart des
présentations habituelles, d’une application au langage ordinaire
d’une rationalité transcendante empruntée aux mathématiques, sur
un mode « platonicien ». Ce n’est donc plus la logique
mathématique qui
« met de l’ordre » dans nos pratiques d’explication
rationnelle, ni qui la régule « d’en haut ». La raison
est réintégrée à l’auto-explication en société (via le
dialogue socratique, et donc en langage ordinaire)
des contenus conceptuels de nos assertions.
Car
dans la présentation habituelle de ces questions de théorie de la
connaissance, dont la première philosophie a été l’empirisme
logique, qui reprend chez Carnap des éléments essentiels de
l’atomisme logique de Russell, on adopte un schéma
« représentationniste ». Les objets sont captés par des
termes singuliers, et selon une rationalité directement empruntée à
la théorie des ensembles en mathématiques, c’est-à-dire aux
notions d’appartenance, d’inclusion et de sous-ensemble, leurs
propriétés (traitée sous forme de prédicats) s’intégrent dans
l’énoncé final selon un principe dit de « compositionnalité ».
C’est une approche bottom-up,
dans lequel un énoncé est vrai si, et seulement si, il est conforme
un ensemble de « conditions de vérité ».
C’est
peu de choses de dire que cette conception « mathématique »
de la rationalité logique domine totalement la scène
intellectuelle. Elle fournit la conviction d’arrière-plan de
toutes les théories qui voient dans la pensée une forme de
computation manipulant des représentations symboliques, et elle
explique le tropisme de la philosophie analytique contemporaine pour
la psychologie cognitive et ce qu’on appelle l’épistémologie
« naturalisée » – en d’autres termes la prétention
de l’individualisme méthodologique à incarner la rationalité en
soi.
Brandom
renverse tout cela. Son pari consiste à partir au contraire de
l’énoncé complet, entendu comme un « jugement » (au
sens de Kant ou de Frege). Le jugement, soit l’acte d’asserter,
ou ce qui confère à une proposition sa force (pragmatique)
assertorique, est vu comme l’unité minimale dans le jeu qui
consiste à donner et à demander des raisons. Dans ce jeu-là,
l’assertion est un « coup ». Et il faut en outre
inscrire cet énoncé asserté dans un « espace des raisons »,
où chaque énoncé est soit la conclusion d’une inférence, soit
la prémisse d’une inférence, espace qui a une texture holistique
dans la mesure où tout engagement envers une quelconque assertion
implique inférentiellement des engagements doxastiques collatéraux
(rappel : feu, matière inflammable, assez d’air, extinction
avec l’eau, etc.).
Or
l’idée de « jeu » va chez Brandom très loin. Déjà,
elle implique des partenaires. C’est en effet ainsi que nous
pensons (= jugeons), en soumettant notre habilitation à nous engager
envers telle ou telle assertion au jugement normatif
d’autrui. L’espace
holistique des raisons ne fonctionne en effet que dans la mesure où
autrui nous tient « comptable » des conséquences de ce
que nous disons, et évalue si les inférences précédentes dont
nous nous réclamons nous habilitent ou pas à affirmer ceci ou cela,
et à en inférer telle ou telle autre chose. Autrement dit, nos
attitudes dans ces
actes particuliers que sont nos assertions, et le statut
qui nous échoit du fait d’être
tenus ou pas comme habilités par autrui à nous engager à soutenir
telle ou telle assertion, socialise radicalement
la manière dont nous conférons du contenu à nos propositions.
C’est dans l’interaction discursive avec autrui en effet que nous
pouvons déterminer si ces attitudes (tenir pour vrai que ...) sont
correctes, appropriées, etc., et leur dimension normative, selon
Brandom, est constitutive de
ce qui confère un contenu à nos énoncés. Toute proposition, au
sens de l’énoncé aspirant à valoir comme une raison, est en
effet quelque chose qui est « pro-posé », par quelqu’un,
au sujet de quelque chose, à autrui – selon une structure
triadique –, et est donc en fait proposé à son
jugement. Comme je l’ai dit
plus haut, tout engagement (doxastique ou pratique) habilite ipso
facto autrui à mettre en
question mes raisons.
Intervient
ici une des notions les plus puissantes de Brandom, qui reprend une
métaphore de Lewis qui remonte à Dewey, celle de scorekeeping,
de « marquage au score ». L’image wittgensteinienne du
« jeu » (de langage) est radicalisée en sorte de décrire
l’interaction constitutive de demander et de donner des raisons
comme un « score » que tient chacun des acteurs, score
qui ne cesse d’évoluer en fonction de ce qu’on attribue et de ce
qu’on reconnaît à autrui comme engagement et comme habilitation à
s’engager envers tel contenu, ainsi que de ses propres engagements
et de ses propres habilitations. Le jeu de référence, ce n’est
plus le jeu d’échecs, c’est le base-ball – un jeu beaucoup
plus ouvert sur le monde réel, car les différences de statut des
acteurs ainsi que ce qu’ils s’attribuent et se reconnaissent les
uns aux autres varient en fonction de ce qu’ils perçoivent et de
ce qu’ils font (lancer de balle, frappe à la batte, courir à une
base, toucher un joueur, etc.). Toute la vie du langage en tant que
lieu pratique d’exercice de la raison n’est absolument rien
d’autre qu’une vaste partie de base-ball spéculatif où chacun
tient le score de chacun, en étant entraîné dans un flux pratique
en prise avec les événements concrets du monde.
Je
reviens maintenant à ce qui suscite littéralement de la fascination
devant le détail des analyses de Brandom, aux yeux d’un
philosophe. Un des tours de force de Making it explicit
consiste à prouver qu’en
adoptant ce point de départ, totalement pragmatique, on peut adopter
une approche top-down qui
reconstruit précisément chacun des éléments subphrastiques de la
logique mathématique traditionnelle. En d’autres termes, Brandom
récupère à partir du jugement, en tant
qu’assertion-valant-comme-raison, tout l’arsenal des « termes
singuliers », « prédicats », « quantificateurs »,
et même concepts modaux (« possible », « nécessaire »),
dont a besoin le logicien. Expliquer comment n’est pas mon propos,
mais je vous prie de croire que c’est aussi impressionnant
qu’inattendu !
En
se livrant à cette déduction détaillée, pour revenir aux enjeux
qui nous concernent tous, disons qu’au lieu de traiter la logique
comme une sorte de « canon transcendant » de la raison
humaine, il la ramène à une pratique réflexive
d’explicitation de ce qui est implicite dans le jeu de langage qui
consiste à demander et à donner des raisons.
La logique, pour lui, n’est que la « conscience de soi
sémantique » du langage humain. Il est manifeste qu’il
s’agit d’une théorie profondément déflationniste de la vérité,
tout à fait en ligne avec le pragmatisme classique. Simplement, là
où les pragmatistes sont tentés de trivialiser la question de la
vérité (« c’est ce qui marche », comme disait James),
Brandom montre comment elle
marche, en quoi consiste au juste cette vérité que nous avons
tendance à hypostasier comme une « propriété » plus ou
moins mystique de nos énoncés rationnels.
On se
souvient comment fonctionne l’enquête chez Dewey, par opposition à
l’épistémologie traditionnelle : non pas vérifier la
conformité à des principes de scientificité préexistants, mais
suivre à la trace comment sont produites les vérités pertinentes.
C’est tout à fait dans le même esprit que travaille Brandom, sauf
que son enquête porte sur le moyen d’enquête ultime, autrement
dit sur la raison, et que ce qu’il suit à la trace, c’est
l’élaboration même de la rationalité moderne (son outillage
logique) à partir de nos pratiques discursives ordinaires.
En
somme, Brandom, sur des situations fondamentalement idéalisées (le
jeu de donner et de demander des raisons entre partenaires qui
évaluent normativement si les uns et les autres sont bien habilités
à dire ce qu’ils disent, et comme ils le disent), déploie à fond
la rationalité du pragmatisme sur les objets les plus abstraits qui
spécifient la rationalité humaine comme « pratique logique »
de nature réflexive.
Il en
résulte un tableau entièrement différent de ce en quoi consiste
l’intentionnalité, notamment de ce en quoi consiste la référence
(dire « de quoi » on parle), mais aussi du statut de
l’« idiome de la représentation » (qui n’est plus du
tout le pouvoir transcendant d’un sujet à se représenter les
objets qui sont hors de lui, mais juste, platement, ce dont on a
besoin réflexivement pour expliciter à autrui ce dont on parle
quand on parle objectivement).
Brandom,
comme l’explique Francesco Callegaro, subordonne enfin cette
stratégie descriptive de la raison humaine, comme enracinée dans
nos pratiques discursives (et non fixée a priori dans
sa forme par un canon logique transcendant) à l’histoire moderne
de l’autonomie, dont la réflexivité critique est le centre vivant
depuis Kant et Rousseau. Ce qu’il ambitionne de mettre au jour,
c’est la forme logico-rationnelle immanente de cette
autonomie, autrement dit,
comment se conjoignent autos et
nomos, la réflexion
et la loi. Son résultat principal, à cet égard, ce n’est pas que
l’histoire officielle de la rationalité philosophique et logique
moderne est fausse. Au contraire, il en récupère chacun des
éléments comme bien-fondés en pratique (autrement
dit, dans les « pratiques logiques et rationnelles »).
Par exemple, il y a bien une place pour l’idiome de la
représentation (sauf que « se représenter » quelque
chose n’est absolument pas un pouvoir mystérieux de l’esprit
individuel), et les découvertes logiques de Frege, Russell, Kripke,
etc., sont bien des vérités logiques, Brandom n’inventant pas une
autre conception, inédite, des termes singuliers ou des prédicats,
ou de la quantification, etc. En revanche, il inscrit toute cette
histoire apparemment contingente de la découverte de ces formes
logiques dans un vaste mouvement de plus en plus expressif,
c’est-à-dire de plus en plus réflexif,
impliquant une socialisation toujours plus dense et plus
raffinée de l’épreuve mutuelle de notre habilitation à soutenir
telle ou telle assertion, dont
le développement effectif est tout le contenu discursif de l’idée
moderne d’autonomie de la raison. En un sens, Brandom livre
l’histoire conceptuelle interne de l’autonomisation de la raison
moderne, jusque dans le détail le plus fin des créations logiques
de notre rationalisme. C’est un peu comme si Hegel, ressuscité,
voyait s’accomplir le projet de la Phénoménologie de
l’esprit mais avec l’outillage
le plus actuel de l’épistémologie, de la sémantique, et de la
logique formelle.
Il
ne fait aucun doute enfin qu’il se situe dans la tradition
américaine du pragmatisme en tant que penseur de la démocratie à
la Dewey. Être anti-platonicien, être anti-cartésien, Brandom en
fait remonter le choix intellectuel, politique et moral au
Metaphysical Club de
Harvard juste avant la Guerre de sécession. C’est dans ce milieu
que s’est formé le pragmatisme américain comme un effort pour
bloquer toutes les revendications « a prioristes »
invoquant la Raison et ses principes dogmatiques. Faire de la vérité
n’ont pas ce que l’on peut invoquer pour trancher dans un débat
entre raisons opposées, mais ce qui est patiemment obtenu par leur
confrontation critique, tel était le but de ce groupe de penseurs,
et Brandom s’inscrit dans leur descendance. L’image du « score »
que tiennent tous les acteurs en s’observant les uns les autres, au
centre de Making It Explicit,
et sans qu’aucun ait un privilège d’objectivité, c’est la
traduction de cet engagement radicalement démocratique
en faveur d’un processus ouvert d’autonomisation de l’esprit et
de la raison que porte le pragmatisme philosophique – qui est ainsi
une philosophie sociale
au sens fort.
Il
y a, ensuite, un niveau métasociologique en jeu. Une perspective
vertigineuse de Brandom, d’esprit également hégélien, est que le
développement de l’autonomie dans la modernité, c’est le
développement même de la conscience réflexive exprimée dans
l’approfondissement logique et épistémologique de la rationalité.
Plus on est autonome et réflexif, plus croît du même pas la
densité rationnelle de ce que nous soutenons dans nos affirmations à
haute teneur théorique, et cette densification se reflète dans
l’approfondissement extraordinaire de notre outillage
logico-linguistique, qui est notre « conscience de soi
sémantique » (une conscience de soi collective)
dudit processus. Plus, en même temps, nous devenons capables
d’inventer des formes logico-rationnelles nouvelles pour concevoir
(conceptuellement, ou formellement)
ce qui se joue dans les inférences et les incompatibilités
matérielles inédites
que nous rencontrons empiriquement dans nos interactions avec le
monde, ou les uns avec les autres.
Or
cela me semble ouvrir la perspective non moins ébouriffante d’une
sociologie de la connaissance qui coïncide à
certains égards avec l’histoire effective de la rationalité
moderne. Sauf que la science superordonnée, dans cette perspective,
n’est plus une science naturelle (ou de la nature) selon le
paradigme empiriste de la connaissance ; c’est la « science
sociale », comprenant comme une dimension essentielle une
sociologie pragmatique et réflexive de la connaissance collective.
C’est au fond une science sociale entendue ainsi, sur un mode
expressiviste, qui rend raison de la rationalité de notre
rationalité moderne – en tant qu’elle soutient et qu’elle
dérive aussi du mouvement global d’autonomisation et
d’émancipation de nos sociétés, et du type de « rapport
critico-réflexif » qu’elle encourage entre nous au niveau
privilégié de cette catégorie logico-verbale centrale qu’est le
jugement.
De
ce point de vue (celui du jugement), et pour faire écho à un souci
de Bruno Karsenti, il me semble que Brandom offre les linéaments
d’une « autre philosophie », non pas politique, mais de
la connaissance, qui accomplirait la désincarcération de la
question même de la connaissance du schéma empirico-logique, ou
psychologico-cognitif dominant, individualiste, et pour qui l’ordre
rationnel à rechercher paradigmatiquement, c’est celui des
sciences naturelles. Je suis sensible à cet égard au fait que
Brandom retrouve, même sans le citer, voire sans le connaître,
plusieurs thèmes de Winch, en particulier l’idée qu’une science
sociale consciente de ses enjeux est intrinsèquement philosophique
(en ce qu’elle répond à la question de ce qu’est l’homme
social), ou qu’une philosophie sérieuse doit tendre vers une
anthropologie concrète (pas seulement celle de l’homme « animal
politique », mais celle de l’homme « animal
parlant/rationnel ») profondément altérée par la dimension
empirique (et non
empiriste) de l’enquête socio-historique.
Maintenant,
qu’est-ce qui me fait me tourner vers le pragmatisme, et les
sciences sociales qui mettent au cœur de leur projet une approche
normative de la vie sociale ? Comme me l’a fait remarquer
Julia Christ, Brandom insiste pour bloquer toute lecture de son
travail qui serait psychologisante (il refuse d’utiliser le mot
« croyance », et parle d’« engagement
doxastique », ce qui peut concerner un individu comme un
collectif), linguistique (avec la mise à l’épreuve de ses
concepts, explicitement idéalisés, en termes de langues naturelles
ou de situations concrètes de communication), mais aussi
sociologisante (au
sens « empirique », c’est-à-dire, craint-il, visant la
réduction causale ou naturalisante de la dimension normative pure
qui seule lui importe). De fait, la sociologie américaine,
ou plus exactement la psychologie sociale américaine fortement
marquée par des approches cognitivistes et par l’individualisme
méthodologique n’offre guère de possibilité de dialogue à
Brandom. C’est au fond seulement Habermas qui lui ouvre une voie
acceptable pour entrer en contact avec l’histoire et la sociologie
du processus d’autonomisation et d’émancipation moderne, mais
parce que Habermas en parle en termes de développement normatif
rationnel. C’est uniquement par le truchement de Habermas que
Brandom a commencé à envisager qu’il puisse y avoir des obstacles
historiques et sociaux intrinsèques, des contradictions internes
dans le processus d’explicitation archi-idéalisé de la
rationalité moderne – autrement dit, des opacités dans
l’expression d’ordre « idéologique » (incidemment,
il en vient même à citer non seulement la théorie critique dans sa
dimension marxiste, mais la psychanalyse et Lacan!).
Mais
on peut aller plus loin et, me semble-t-il, tirer Brandom en
direction d’une sociologie moins « philosophique » que
celle de Habermas, et plus proche de nos enjeux touchant la
réflexivité. Il faut pour cela se risquer à deux rapprochements
hypothétiques entre
sa méthode d’enquête philosophique pragmatiste, et ce que
pragmatisme (et durkheimisme, ajoute Francesco) veulent dire, si je
ne m’abuse, pour les sociologues de l’équipe.
C’est
tout d’abord la mise en équivalence particulièrement hardie du
slogan wittgensteinien, « le sens d’un concept c’est son
usage » (son usage social,
faut-il ajouter, ce qui n’est dans Wittgenstein au sens fort,
sociologique, de social), d’une part et, d’autre part, du motif
pragmatiste général de l’antériorité explicative du know
how sur le know that.
L’expressivisme de Brandom, c’est, selon moi, leur conjonction
dans l’idée que les concepts (les catégories intellectuelles en
général) ne sont rien d’autre que l’explicitation de ce qui
restait implicite dans une pratique.
La
question que je pose alors, c’est celle de la généralisabilité
de ce schéma « usage
(pratique) / sens (contenu conceptuel). L’expressivisme n’est-il
pas le procédé explicitant systématique qui manque pour assurer
une transition réflexive forte et articulée entre toutes sortes de
pratiques sociales et les « idéologies » (en un sens
plus proche de Mannheim que de Marx, qui en constituent la
contre-partie catégorielle-intellectuelle ?
C’est
en cela que Brandom pourrait offrir autre chose et mieux que
actuellement les philosophes de l’esprit qui gravite autour de la
sociologie pragmatiste : de simples mises en garde critiques
touchant ce qu’est une règle, une norme, l’intentionnalité,
etc., et un stock de notions et d’arguments empruntés à
Wittgenstein dont ils ont beau jeu ensuite de contester le
« détournement » par le sociologue sur des bases
platement exégétiques.
Je
me livre à cet égard en ce moment à une enquête (je reprends le
terme de Dewey) philosophico-épistémologique. Peut-être
fera-t-elle sentir le point en jeu. J’essaie de montrer que les
concepts courants auxquels se réfèrent les psychanalystes d’enfant
(œdipe, fantasme inconscient, transfert, etc.) ne puisent pas leur
origine dans une théorie psychologique « corroborée »
empiriquement par la clinique, mais ne sont que les catégories qui
émergent réflexivement de leurs pratiques de soin (jeux, dessins,
échanges verbaux fictionnels, etc.) avec les enfants à problèmes,
lesquelles pratiques sont en fait des pratiques de resocialisation
qui inscrivent la psychanalyse
avec les enfants dans le registre général des « rituels
thérapeutiques ». Ces concepts psychanalytiques, qui se
présentent comme théoriques et scientifiques en eux-mêmes, et
autosuffisants, sont uniquement, selon moi, les représentations dont
on a besoin pour expliciter ce qu’on fait implicitement quand on
s’efforce de « fixer le mal » qui a mis un enfant (dans
son contexte familial et social) hors-jeu. Je ne re-déduis pas,
évidemment, ce faisant, la logique formelle, comme Brandom, mais une
autre sorte d’« idéologie » : les idées
fondamentales de M. Klein ou de Winnicott par exemple, en partant de
pratiques qui ne sont pas d’ailleurs purement discursives, mais
aussi des interactions imaginatives et corporelles, impliquant le
jeu, les dessins, et leur mise en correspondance avec ce qui
s’exprime par là des tensions vécues dans les symptômes. Tout le
point est la dérivation expressive des concepts théoriques
(des psychanalystes d’enfant)
à partir des pratiques concrètes, situées dans leur
contexte socio-anthropologique.
(Je
m’appuie, incidemment, sur une approche comparative de ce qu’est
un tel « rituel thérapeutique » en plaçant en vis-à-vis
son fonctionnement dans des sociétés traditionnelles ou prémoderne,
et chez nous, dans des sociétés individualistes où
l’autonomisation de la personne est le maître-mot. Mais c’est
une autre histoire.)
Comment
cela arrive-t-il ? Comment s’articulent ce qu’on fait
et ce qu’on pense
réflexivement de ce qu’on
fait ? Et, bien sûr comment s’opère le retour de la
réflexivité sur l’action elle-même ?
Il y
a plusieurs réponses. Une paraît tout à fait inappropriée pour
des objets plus concrets que les idéalités de la logique extraites
par Brandom de nos pratiques discursives ordinaires. Car Brandom en
est venu à proposer des dérivations « algorithmiques »
des usages pratiques des mots vers le sens formel des concepts (ce
qui a même nourri un courant de l’intelligence artificielle, l’IA
dite « pragmatique »). Il est certain que ce genre de
dérivation-là n’est envisageable que pour des objets
hyper-abstraits, ou plus exactement pour des idéalités logiques.
C’est dans Between
Saying and Doing que Brandom livre cette approche algorithmique,
mais ce n’est en réalité, quand on regarde plus précisément
l’argument, qu’un cas hautement formalisé d’une approche qui,
à mon avis, se généralise à une foule de situations qui n’ont
pas le caractère logique ou idéal de ce qui intéresse centralement
Brandom. Brandom en effet y présente ce qu’il appelle « schéma
sens-usage » assez élaboré dont voici les principales
articulations. Il distingue :
- La suffisance (ou adéquation) de certaines pratiques ou compétences à déployer (articuler) un certain vocabulaire : la PV sufficiency.
- La suffisance (ou adéquation) d’un certain vocabulaire à spécifier quelles pratiques sont suffisantes pour une certaine PV sufficiency : la VP sufficiency.
Cette distinction permet
de poser la question de la relation entre V et V’, lorsque V’ est
VP sufficient pour spécifier quelles pratiques et compétences
sont PV sufficient pour déployer V. V’ est alors qualifié
de « métavocabulaire pragmatique ».
À mon avis, cette notion
est fort ingénieuse, et tout à fait susceptible d’utilisation
dans des enquêtes comme la mienne. Toutefois, il faut bien prendre
garde à ne pas la rendre complètement triviale. En effet, si l’on
parle de « l’intention de vouloir dire rouge avec le
mot "rouge" », ou encore de « l’utilisation
du tilde pour marquer la négation », il semble bien que l’on
décrive avec un certain métavocabulaire ce qu’il faut faire pour
déployer le vocabulaire cible (le mot « rouge » où la
négation logique). Mais en réalité, on a juste invoqué dans un
cas une entité mystérieuse, l’intention ou le vouloir-dire, qui
n’est pas une pratique ou une compétence pragmatique, et dans
l’autre, une convention. Par conséquent, la validité et l’intérêt
de la notion de métavocabulaire pragmatique dépend de la manière
dont on réussira à spécifier les pratiques et les compétences en
cause !
Dans l’enquête qui
m’occupe, voici comment je pense qu’on peut s’approprier ces
distinctions de Brandom. On commence par repérer les pratiques ou
les compétences des psychanalystes d’enfant qui donnent sens, en
pratique, à leurs concepts théoriques (œdipe, transfert, etc.), et
les fondent dans un certain usage (celui d’un rituel thérapeutique
dans une société déterminée). Autrement dit, on décrit les
pratiques et les compétences qui leur suffisent (et qui leur sont
éventuellement nécessaires) pour déployer leur lexique conceptuel,
autrement dit enfin la VP sufficiency de cette pratique
théorisée de la psychanalyse d’enfants. Mais une telle
description n’est pas possible si l’on ne précise pas quel est
le métavocabulaire pragmatique qui la permet. Il faut un vocabulaire
V’ bien distinct, pour dire comment et pourquoi lesdites
pratiques et compétences produisent précisément V (ou suffisent à
le produire, et pourraient peut-être produire plus ou autre chose).
Or V’ et V
entretiennent des relations fort différentes par exemple de celle
d’un métalangage avec un langage, ou d’une traduction par
rapport un original. Brandom fait par exemple remarquer qu’on
augmente la conscience réflexive des acteurs en enrichissant
leur lexique d’un métavocabulaire pragmatique qui leur permet de
se dire ce qu’ils font, ou de se le décrire à eux-mêmes,
quand ils déploient le dit lexique. Autrement dit, VP sufficiency
et PV sufficiency sont
liées (du moins en puissance) récursivement.
Expressivité et récursivité marchent main dans la main. On ne
trouve rien de cela dans le rapport d’un métalangage un langage,
ou d’une traduction eu égard à un original.
En
tout cas, et c’est la raison pour laquelle je voulais terminer sur
ces avancées de Brandom, qui sont postérieures à Making
It Explicit, voilà la
machinerie conceptuelle qui sert à mettre en batterie sa doctrine de
l’expression – et même si elle peut être implémentée sous
forme d’algorithmes au moyen d’automates théoriques, ce n’est
pas intrinsèquement nécessaire.
Dans
le cas de la psychanalyse d’enfant, ce que je me propose a deux
aspects. D’une part, il s’agira de contester l’idée largement
dominante que le fondement des thérapies se trouve dans une
« théorie psychologique » donnée d’avance dans le
corpus de la psychanalyse, et appliquée aux enfants (selon des
règles qui sont internes aux catégories de cette théorie). En
d’autres termes, je veux montrer que ce qui donne sens et
légitimité aux concepts des psychanalystes d’enfant, ce sont
leurs pratiques (rituelles) de resocialisation des enfants, et non la
cohérence de ces pratiques par rapport à des catégories canoniques
a priori. À supposer
que j’y arrive, autant pour la PV sufficiency du
corpus théorique de la psychanalyse d’enfant. Simplement, en
décrivant cette PV
sufficiency, je mobilise un
certain lexique particulier (manifestement extra-psychanalytique) :
je suis donc aussi redevable
de la VP sufficiency de
ma description. Mais la démarche de mon enquête se fait alors
épistémologique et critique d’une façon, apparemment, inédite.
Car je me retrouve désormais muni d’un métavocabulaire
pragmatique (V’) que je peux confronter au lexique-cible de la
psychanalyse d’enfants (V).
Or, comme les acteurs se le représentent ordinairement,
ce lexique-cible ne puise pas du tout son sens et sa légitimité des
pratiques dont il procède. Au contraire, il est censé régler
lesdites pratiques. C’est d’ailleurs pourquoi ce lexique-cible se
donne en général sous une forme psychologique naturaliste (les lois
d’un inconscient sexuel universel, etc.). Quel peut être l’effet
de « réinjecter » ledit métavocabulaire pragmatique
dans le lexique psychologique naturaliste qui est le premier
niveau de conscience de leurs pratiques que partagent les acteurs ?
En quoi ma démarche peut-elle être « critique », vu
qu’elle ne concerne pas centralement les pratiques effectives de
ces acteurs (P), plus ou moins laissées en l’état, mais davantage
les représentations rationalisantes (V) qu’ils s’en font ?
Que subissent au juste les catégories opératoires à ce premier
niveau de conscience, quand elles sont dénaturalisées et
dépsychologisées par l’opération ?
Mon
intuition, c’est que ce type de questions, autrement dit cette
façon de découper le problème de l’expression, de la
réflexivité, de la pratique et des catégories réflexives dans
lesquels la pratique s’articule, n’est pas limité à l’objet
étroit que j’examine, et qu’il permet aux philosophes de mettre
en œuvre une lecture critique de certaines pratiques et conceptions
que les gens s’en font qui offre des points de convergence
significatifs avec une science sociale d’inspiration pragmatiste.
_____________
_____________
1 Il
faut donc bien distinguer l’inférence de la logique formelle, ou
l’implication, celle du connecteur « si... alors... »,
ou « ⸧ »,
de l’inférence matérielle, laquelle est ce que nous rencontrons
en pratique, et donc
d’abord, dans
quelque chose comme « pas de fumée sans feu », en sorte
que, en une bonne doctrine pragmatiste, on doit toujours considérer
que l’inférence formelle est une explicitation réflexive fondée
sur des inférences matérielles.
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