Faire "renaître" la philosophie du droit de Hegel avec Brandom

Exposé au séminaire "Lus et relus: exercices de réflexion inter-temporelle", organisé par Paolo Napoli, avec Emanuele Conte, Otto Pfersmann et Michele Spano, le 9 janvier 2019.

Les Principes de la philosophie du droit de Hegel, séance avec Julia Christ

(Enregistrement de l'exposé)
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Introduction: le problème du droit pour une philosophie sensible aux sciences sociales

Ce que l'émergence des sciences sociales a fait à la philosophie politique classique.
Quelle philosophie de l'esprit, de l'action, du langage et de la logique est utile à la construction épistémique particulière qu'est une connaissance sociale du social? La sociologie de la connaissance selon Karl Mannheim.
Autre chose que l'épistémologie standard appliquée aux sciences sociales; une rupture par rapport aux courants dominants de la philosophie analytique de l'esprit contemporaine.
Robert Brandom: holisme, historicisme et pragmatisme "analytique".
Brandom lecteur de Hegel.

"The puzzling Hegel Renaissance" (Frederic Beiser).
La limite politique du pragmatisme analytique de Brandom (son débat avec Habermas).

A/ Quatre préjugés enracinés contre les Principes de la philosophie du droit

1/ C'est moins une philosophie du droit qu'une philosophie politique conservatrice, historiquement datée, qui donne une justification métaphysique a posteriori à la monarchie prussienne.
Marx et la critique de l'État hégélien.

2/ Les Principes invoquent à l'arrière-plan un idéalisme suranné et qui prétend déduire les contenus de l'histoire et du droit, mais aussi ceux de la morale et de la volonté libre.
L'instrument rationnel de cet idéalisme est une "logique dialectique"qui n'a de logique que le nom.

3/ Quand bien même y aurait-il des réflexions sur le droit dans les principes, il s'agit d'un jusnaturalisme explicitement opposé au positivisme juridique (à la von Savigny). En tant que tel, ce jusnaturalisme, même historiciste et social, reste incapable de rendre compte de la logique juridique des normes, ou de la "théorie pure" des normes (au sens de Kant-Kelsen).

4/ La conception hégélienne de l'agir humain (exposée aux §§ 117 et 118 des Principes) lie tellement la validité logique des normes et leur effectivité socio-historique, qu'elle est incapable de cerner la sphère autonome de la réflexion normative en droit.
L'origine de cette co-implication décisive du rationnel et du réel dans l'agir se trouve chez Kant ("Tu dois donc tu peux"), et donc dans la philosophie morale et son concept de "volonté bonne".

B/ "L'expressivisme rationaliste" de Brandom à la rescousse de Hegel

1/ Une première réponse aux points 2. et 4.

a) L'expressivisme méta-éthique, l'expressivisme généralisé (des concepts moraux aux concepts modaux), l'expressivisme total.
L'explicitation de l'implicite chez Brandom.
L'expressivité rationaliste de Brandom et sa proximité essentielle avec la philosophie de Hegel dans la Phénoménologie de l'esprit.
Le holisme sémantique, ou l'idéalisme absolu apprivoisé par le pragmatisme.

b) Peut-on transposer cette analyse à une lecture expressiviste de l'action (Handlung) dans les Principes?

Trois caractéristiques d'une théorie expressiviste de l'action:

  • événement vs expression
  • l'action comme expression des statuts normatifs de l'argent et du patient
  • le refus de l'irrationalité de l'agir

c) Qu'est-ce qui est "mort" et qu'est-ce qui est "vivant" dans les §§ 117-118 des Principes?
Non plus l'extériorisation de l'intérieur, mais l'ex-position explicitante du posé implicite. La rupture pragmatique avec la métaphysique.

2/ Une deuxième réponse aux points 3. et 4.

a) Une autre lecture des Principes: non plus une théorie du droit qui réduit le droit (positif) à l'"effet" du déploiement socio-historique du concept de liberté, mais une méta-théorie réflexive qui permet d'attribuer, en employant un vocabulaire logique unifié, un sens moral, juridique, ou politico-étatique à tel ou tel "concept empirique" du droit et de la science de l'État.

b) Les concepts juridiques, moraux et politiques naissent alors de l'explicitation de ce qui restait implicite dans une pratique intersubjective et sociale de la reconnaissance de la liberté. Cette pratique retraduit "l'expérience de la conscience" (de la liberté)comme réflexivité immanente à toute action sur les normes et les statuts normatifs des agents.

c) De ce point de vue une approche du droit en termes de "théorie pure" des normes n'est pas anti-sociologique. C'est un moment nécessaire dans la constitution réflexive de nos concepts normatifs.
L'individualisme méthodologique ne constitue cependant pas un point de vue métaphysique explicatif ultime d'où arbitrer sur la "nature" des normes et des agents.

d) Il y aurait ainsi plus dans les Principes de la philosophie du droit que la dernière philosophie politique classique (Marx). Ils préfigurent, encore abstraitement, un moyen d'expliciter sur des bases pragmatistes, holistes et historiques le développement de notre réflexivité sur les normes morales, légales et politiques.
En ce sens, le Hegel "vivant", ce n'est pas le philosophe politique, c'est le Hegel qui contribue déjà à une approche socio-historique scientifique de la liberté des Modernes.

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