jeudi 11 juin 2020

10. L'anaphore, condition implicite d'une explication perspectiviste et sociale de la représentation

Lectures préparatoires

R. Brandom, chapitre 7, "L'anaphore: la structure des réitérables d’instances" et chapitre 8, "L'imputation d'attitudes propositionnelles: l’itinéraire social du raisonnement  à la représentation" (section I), in Rendre explicite 2, trad. I. Thomas-Fogiel et alii, Cerf, 2010, p.739-879 et p.881-902.
R. Rorty, Philosophy and the Mirror of Nature: Introduction, Princeton University Press, 1980².
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A/ Introduction: les enjeux des chapitres 7 et 8 (section I) de Rendre explicite


1. Comment saisir discursivement un objet: termes singuliers et descriptions définies. La critique de la théorie de la deixis comme contact ultime de l'esprit avec les choses. Que l’anaphore précède la deixis.
2. L’anaphore interpersonnelle comme condition d'une théorie perspectiviste du contenu conceptuel. Passage à l'explication de la représentation dans le dialogue rationnel. Ce passage implique une idée alternative de la communication: non-représentationniste (ni Locke ni Saussure).
3. Tout du long, le déploiement paradigmatique de l'approche pragmatiste: que faisons-nous quand...? (nous pointons un objet singulier, nous nous représentons un contenu conceptuel, nous échangeons discursivement sur un objet, etc.). Non plus la représentation, mais le "représenter" (representing).

B/ L'extension du concept grammatical d'anaphore à la sémantique: "transporter" des engagements et des habilitations qui déterminent la saisie du contenu conceptuel d'un terme singulier. Que cet usage pratique (ce know-how) implicite sous-tend la référence dans la deixis.

1. Partir de l'objet chez Frege: le cas-type de l'objet obtenu par des voies purement substitutionnelles.
Le signe = fait l'objet-nombre. Le concept de nombre et les classes d’équivalence.
Brandom contre le maximalisme frégéen des conditions d'identité. L'appel à la pluralité des ESIMS indique "en creux" la place des perspectives plurielles sur l'objet (et le privilège de l'anaphore interpersonnelle: "Léon est parti, le couillon..." et "-Léon est parti... - Le couillon!")
2. Pour traiter x comme un terme singulier dans !x(Px), il faut au moins un énoncé d'identité non-trivial vrai de la forme !xP(x) = a et donc de la substitution possible entre engagements inférentiels. Les "bons" substituts qui permettent de parler de l'existence de x sont ses "désignateurs canoniques" (les numéraux successeurs pour les nombres, par exemple). Ce sont des pronoms "réels", porteurs d'information sémantique dense.
3. Et les termes non-réitérables ("Ceci")? Comment les transporter et les substituer ("- Ceci? - Oui, c'est ça, merci.").
Point de départ: notre capacité implicite à reconnaître les récurrences, explicitées dans les anaphores.
Ce que permet l'anaphore: intégrer les comptes-rendus perceptifs à l'espace des raisons, et articuler en société les engagements existentiels singuliers.
L'anaphore fonde pragmatiquement la deixis: contre la théorie de la référence directe et les théories causales-historiques de la référence.
4. L'anaphore interpersonnelle, moyen du dialogue fécond (entre locuteurs dont les croyances d'arrière-plan diffèrent toujours).
L'incommunicabilité entre les univers conceptuels, question classique en histoire des sciences, héritée de Quine. La communication comme transmission comme coopération: ce qui les menace chacune. Ce que nous partageons, c'est une capacité à naviguer entre les points de vue: elle est articulée par l'anaphore interpersonnelle.
La production de la connaissance est intrinsèquement sociale, le fruit d'une coopération pratique dans la stabilisation des contenus conceptuels.
La "référence de locuteur" selon Kripke, le perspectivisme charitable et le passage à la représentation.

C/ Expliciter ce qui était implicite avec l'anaphore: attitude propositionnelle et dimension représentationnelle du contenu conceptuel.

1. Portée du chapitre 8: Brandom arrive où la philosophie de l'esprit traditionnelle part, des attitudes propositionnelles (croire que, désirer que, etc.). Il y arrive dans un mouvement global d'enrichissement de l'idiome expressif théorique qu'il construit et qui converge toujours davantage vers le langage naturel, autrement dit vers ce que nous disons et faisons quand nous parlons et pensons avec les mots (les deux sens de logos).
Moment culminant en ceci que la représentation est retrouvée (et non rejetée critiquement comme chez Rorty), mais retrouvée au sein de la construction d'une alternative inférentialiste au schéma dominant, représentationnaliste.
2. Les énoncés essentiellement ambigus, selon qu'ils sont lus de re ou de dicto: "En 2022, le président de la république sera franchement à gauche." Comment est-il possible de désambiguïser cette phrase? De quoi a-t-on besoin pour qu'un idiome soit suffisamment expressif à cette fin?
Représenter prend pace dans un processus d'explicitation de ce dont on parle et à quoi on penser
3. C'est dans le même mouvement d'explicitation qu'au lieu d'attribuer implicitement un engagement doxastique on impute explicitement une croyance. Les attitudes propositionnelles rendent alors explicite ce qui était implicite dans l'anaphore interpersonnelle.

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