dimanche 24 janvier 2021

8. Pourquoi la vérité de la certitude de soi-même serait-elle la Raison des Modernes? La signification épistémique de la dialectique du maître et du serviteur

Lectures préalables

G.W.F. Hegel, "La vérité de la certitude de soi-même", Phénoménologie de l'esprit,  chapitre IV, trad. J.-P. Lefebvre, GF, p.187-227.

R.B. Brandom, A Spirit of Trust, chap. 8, "The structure of desire and recognition. Self-consciousness and self-constitution", p.235-261.

Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, IX, "Pyrrhon".

Epictète, Manuel.

Goethe, "La Nature", fragment de 1783, avec le commentaire à von Müller de 1828.

Luther, "Jugement sur les vœux monastiques", trad. franç. in Œuvres I, La Pléiade, Gallimard, 1999.

Références

R.B. Brandom, La Raison en philosophie. Donner vie aux idées, chap. 2, "Autonomie, communauté et liberté", trad. franç., Ithaque, 2021, p.61-88.*

Pour compléter l'exposé, sur la "pensée musicale qui ne parvient pas au concept" (PhE p219.) le Lied "Le Roi des aulnes" de Schubert, sur le poème de Goethe, et un hymne polyphonique, "Ad cenam agni providi", par les moines de l'abbaye de Fontgombault.

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(Enregistrement de l'exposé)

A/ Introduction

Un texte performatif: non pas décrire la conscience de soi, mais nous faire prendre conscience de nous-mêmes comme consciences de soi (donc comme Modernes). Retrouver le sens de ce qui nous a formés (Bildung): les figures historiques concrètes s'invitent dans l'exposé spéculatif.

La postérité de la dialectique du maître et du serviteur chez Marx et Nietzsche. L'inclure plutôt dans le développement général de l'argument de la Phénoménologie. L'approche de Brandom.

En quoi ce chapitre est-il une charnière indispensable vers le chapitre Raison? L'unité kantienne de l'aperception est un Je qui doit être un Nous (l'Esprit), ou se transcender comme conscience individuelle singulière pour pouvoir ensuite se reconnaître soi-même dans l'être en soi (la Nature-univers) comme Raison effective (PhE, p.235-236)

B/ Prologue du chapitre IV: conscience de soi et conscience, désir et Nature vivante (genre), les prémisses naturelles de la reconnaissance (Anerkennung)

1. Le point de départ: "Je est à la fois le contenu de la relation et l'acte de la relation (PhE p.188). D'où une nouvelle opposition entre conscience et conscience de soi: Hegel nomme désir que cette opposition "doit" se résoudre.

2. En face (mais surgissant d'abord dans le dos de la conscience de soi), un nouvel objet apparaît alors: la vie. L'objet du désir de la conscience de soi est un vivant "autonome". La Nature vivante chez Goethe, et le genre (l'espèce-dieu) chez Aristote.

3. De la conscience de soi à la conscience de soi vivante: comment Brandom supplée les ellipses de Hegel. L'animal "tient pour bon" ce qu'il consomme (attitude orectique). L'objet du désir qui ne se consomme pas, c'est une autre conscience de soi. Dialectique de l'amour (attitude érotique).

C/ Domination et servitude: pas l'amour, la lutte à mort

1. Pourquoi pas l'amour: la pure conscience de soi s'extrait de la vie naturelle. Du tenir pour bon au tenir pour vrai et juste: naissance de l'autorité subjective comme maîtrise qui se croit absolue.

2. Quand une conscience de soi vivante n'est reconnue et ne reconnaît qu'une autre conscience de soi vivante. Du jeu des forces dans la conscience à la lutte à mort. Maître et serviteur, stabilisation bancale de cette dialectique.

3. Ce qui a retenu Marx: jouissance vs travail. Du serviteur, maître du maître au maître au service du serviteur.

D/ Deux risques de régression de la conscience moderne "malheureuse": le stoïcisme et le scepticisme

1. La lecture exclusivement morale et politique de cette dialectique est un contresens. La liberté normative "positive" (Kant et Brandom) comme enjeu à la fois moral et épistémique. La conscience malheureuse moderne, synthèse de stoïcisme et de scepticisme: il faut en partir pour comprendre l'un comme l'autre.

2. Stoïcisme puis scepticisme: deux figures de la liberté comme liberté de "se représenter" le réel. Le scepticisme est plus sérieux: il tient le réel pour rien. il est plus inconsistant, puisqu'il revient à s'abandonner à la vie. Notre conscience moderne, qui oscille entre ces extrêmes, est ainsi "conscience de sa propre nullité".

Comment Brandom comprend cela: autorité formelle sur tout mais sans responsabilité effective, responsabilité infinie sans autorité émancipatrice.

E/ Le concept encore ineffectif de l'esprit: comment la conscience malheureuse se met en chemin

Comment Hegel comprend cela: stagnation de la conscience qui n'arrive pas à la synthèse des deux côtés, le pur penser réflexif et l'affirmation de sa singularité concrète.

1. Un développement très allusif: le désespoir de la modernité, c'est que jamais la conscience de soi n'aura le contenu de la conscience (la "nostalgie", le sentimentalisme romantique). Fond réactionnaire du thème de l'échec des Lumières (Jacobi).

2. Trois temps de la mise en chemin de la conscience malheureuse:

  • Le contenu en soi de la conscience comme mélancoliquement disparaissant pour la conscience de soi: la pensée "musicale qui ne parvient pas au concept" (PhE, p. 219).
  • A contrario, la "fierté du sentiment de soi" dans le désir et le travail (Luther: dein Ruf ist dein Beruf). Mais la nullité n'est pas surmontée, car le principe agissant est hors de la conscience (son habileté est un don qu'elle a reçu). Au contraire, même dans l'action de grâces, un excès de conscience de soi hypocrite se fait jour.
  • La vie monastique: lutte contre les désirs sensuels, et abandon de sa volonté propre au "conseil" spirituel du supérieur. Autodestruction finale de la conscience de soi dans la quête éperdue de son propre contenu infini.

F/ Conclusion: la soumission spirituelle à l'autorité dans la communauté monastique et l'abolition de la singularité de la conscience de soi comme condition de la Raison moderne

"Pour la conscience malheureuse, l'être en-soi est au-delà d'elle-même" (PhE p.229): en fait, au-delà des portes du couvent, dans le monde (Luther)!

Le renversement ultime: c'est précisément dans l'auto-annulation de la volonté singulière que s'esquisse la possibilité d'une volonté universelle. La conscience malheureuse ne le sait pas encore pour soi, mais elle est déjà implicitement raison (ou raison représentée, pas conceptualisée): parce que son activité singulière, en soi, est néanmoins "toute réalité" (PhE, 227).

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